vendredi 30 septembre 2011

Out of the blue…

The debates on the francophone wikpedian community tend to be a bit autarcic. For the past two weeks a lot of energy was spent on heating arguments about the local arbitration committee elections. Because of this particuliar agenda the trans-wikipedian issue on the Image Filter was largely overlooked. It's only thanks to a brief remark of Anthere and a recent post of Darkoneko that I get acquainted with its later ramifications.

An idiomatic French expression well renders what I felt when I discovered the Image Filter Referendum : comme un cheveu sur la soupe. It means litterally like a hair in the soup, the nearer english equivalent being out of the blue. So far, I have hardly seen much complains about the use of so-called controversial material. There has been in march an attempt of controversy concerning the inclusion of a work by Pierre Louÿs with some pedophile innuendos (in fact more than innuendos) in Wikisource. But, it has been quickly dismissed — the case for inclusion being clearly supported by most contributors.

All in all, I did not really see the need to put up a referendum about such a tiny issue.

I began voting, and the more I read the questions, the less I understood the purpose of this poll. As I pointed it out in a sooner French post, it was not a real referendum, merely a consultation. The decision was taken a priori. The wikipedian communities' advice concerned solely the concrete realisation of the Image Filter, not his preconditional acceptation.

After the publications of the tied-up results (a shy 5.8 out of 10 finding the Image filter to be an important matter). I quickly withdraw the whole business — my thoughts were elsewhere. It came back unexpectedly, comme un cheveu sur la soupe a few days ago. Last Wednesday, a section on the French Village Pump mentioned a strange conservative-bias post by The Examiner (according to the acute remark of one of my commentators, its author appears to be a kind of anglo-saxon Alithia). This mention was received with a great deal of mockery : « I'm so glad to annoy the American Puritan Right with my little contributions » (bzh) / « What a fun » (Joe la truite). Gradually, the discussion drifted on the Image Filter thing. A very well-esteemed editor, Alchemica, threatened : « If this function is applied, it will end my association with the project ».

What could account for the distinctive francophone wikipédia approach (or rather non-approach) on this matter ? It is not so easy to answer. We may of course adress the general feeling that francophone cultures are more permissive on sexual matters. It is not a mere cliché. It has some objective ground. For instance there have never been any « moral code » on French cinema. French counterparts of Fuck, Ass, and Shit flourished as soon as the thirties. Thanks to the decentralized structure of francophone cinematographic production a « Textual filter » similar to Hays Code, never occurred. Nowadays the French equivalent of MPAA stands much more laxist : nudity in picture is not a problem per se as long as it is not sexualized. By this standard a significant part of -12 American films are U-graded in France. For the little I know, the same phenomena seems to apply to Québec and the Suisse romande.

Besides, the political debates over the Internet in France focuses much more on economical than moral issues. There is some legislation about pornographic content, but nothing that can be compared to the aborted Zugangserschwerungsgesetz. On the other hand, the Hadopi laws and organisation creates an unprecedented control on artistic diffusion. The recent WikiLovesMonument operation sheds a new light on the offensive French copyright policy : there is no Freedom of panorama. Therefore, every photo that features the work of an alived or dead-less-than-70-years-ago architect has to be supressed or subsequently modified. Consequently, the president of Wikimedia France, Remi Mathis, launched lately in Le Monde a vibrant call in favor of the establishment of a Freedom of panorama.

In brief, I would sum up my position in one bullet phrase : the Image Filter controverse is very, very, VERY secondary. We are losing our time whenever real important things might go off our trail : the liberalisation/reinforcement of the copyright laws, the popularisation of encyclopedical writing, the emergence of Wikipedia in emergent countries… It sounds truly out of the blue.

mardi 27 septembre 2011

Changer la politique…

On a beaucoup parlé au cours de ces dernières années de la « starification » ou « starisation » de la vie politique. L'iconisation de certaines figures, la scénarisation des parcours par le truchement de Storytellers, la mise en scène de la vie privée à des fins tactiques : toute sorte de choses qui contribuent à faire de la chose publique un succédané de mauvais cinéma.

Est-ce un reflux définitif ou un réaction ponctuelle ? Toujours est-il que ce procès paraît s'enrayer. Les stories ne font plus recettes. Emportée par l'onde de choc de la crise, la pipolitique apparaît pour ce qu'elle est : du pipeau. Les représentations individuelles s'effacent derrière les négociations collectives. Les récentes élections sénatoriales ne consacrent pas la victoire d'un homme mais celle d'une tendance structurelle : pour des raisons qui tiennent plus de la sociologie que de l'idéologie les zones rurales surreprésentés dans les collèges électoraux passent lentement à gauche. L'avènement d'une cohabitation entre la chambre basse et la chambre haute réhabilite le travail législatif : le parlement ne sera en rien un simple enregistreur. Il aura son mot à dire sur les orientations gouvernementales. Il imposera un rythme décisionnel, distinct de celui de l'exécutif.

Les nouveaux médias ont dans une certaine mesure anticipé ce retournement de paradigme. Des infrastructures numériques comme Twitter se sont avérées particulièrement adapté pour relayer les réalisations quotidiennes de la vie politique. Des comptes comme Authueil, Élu local et ZeFML ou des hashtags comme QAG (Questions Au Gouvernement) comblent amplement l'espace laissé libre par les médias généralistes.

J'en viens un peu à me demander si mon dernier portail ne participe pas de cette tendance. Il y a un peu plus de deux mois, je retravaillais de fond en comble le portail politique. Ce faisant, je m'apercevais qu'il était complètement « engorgé » : il comprend près de 41 000 articles, dont 11 000 fiches biographiques.


Il importait de décentraliser tout ça. D'où la création aujourd'hui même d'un portail Politique française qui vise, comme son nom l'indique, à regrouper l'ensemble des articles politiques ayant trait à la France.

Comme je le signale sur le projet politique, ce portail répond à un double impératif. Tout d'abord un impératif d'actualité : si les divers portails historiques permettent de se faire une bonne idée de la vie politique à des époques plus ou moins reculées, il n'existe à peu près rien sur la vie politique contemporaine. C'est paradoxal dans la mesure où son caractère présent immédiat intéresse tout particulièrement le lecteur français lambda. Ensuite un impératif d'objectivité : j'ai volontairement mis l'accent sur les détenteurs du pouvoir réel. Concrètement, les ministres sont listés dans la même box que les dirigeants des commissions parlementaires. Ou encore, dans le cas du Parti socialiste, des personnalités sans fonctions précises comme Ségolène Royal ou Laurent Fabius se retrouvent derrière des praticiens de la politique, plus discrets mais, dans les faits, plus influents. C'est ainsi qu'ont voit émerger toute une série d'acteurs peu voire pas du tout médiatisés, qui sont parfois absents de Wikipédia (un volontaire pour recréer Marc Fesneau, l'invisible secrétaire général du MODEM ?)


Autant dire tout de suite que ce portail n'est pas parfait. Certaines sections restent à faire (notamment le machin curieux qui s'appelle Événement où j'ai mis un peu tout ce qui sort de l'exercice ordinaire de la politique). Il y a encore un gros travail d'implantation de modèle dans les articles et catégories concernés — pour l'heure le portail n'est encore lié à… aucun article. J'ai encore du pain sur la planche pendant le restant de la semaine.

Si je me projette un peu à terme, je me dis que ce ne serais pas mal d'avoir l'équivalent pour d'autres grands pays : Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis, Brésil, Chine… Il y a dans l'ensemble un vaste manque à combler sur la politique-quotidienne — carence qui bénéficie à la politique-spectacle. C'est typiquement le rôle d'une encyclopédie que d'y remédier.

samedi 24 septembre 2011

Et pourtant elle tourne…

Cet après-midi, en descendant le boulevard Saint-Germain, je suis tombé nez-à-nez avec ceci :


Deux messages contradictoires se succèdent. Le panneau supérieur nous dit d'abord que ce distributeur est en service. La présence de scotchs croisés et d'une mention HS spécifient en fait qu'il ne fonctionne pas.

Pour comprendre Wikipédia, il suffit d'inverser cette image. Un panneau indique qu'elle est Hors service. Et pourtant elle tourne

mercredi 21 septembre 2011

Référendum sur le Comité d'arbitrage…

J’ai généralement pour habitude d’écrire des billets longs. Les circonstances du moment m’incitent à tenter la brièveté.

Comme chacun a pu le remarquer les élections pour le renouvellement du Comité d'arbitrage se sont finalement muées en référendum. De nombreux utilisateurs ont décidé de s’opposer à toutes les candidature proposées, à telle fin que le prochain comité se composera probablement d’un effectif trop réduit pour véritablement fonctionner.

Comme le souligne Argos, le règlement du Comité d'arbitrage présuppose un seuil de validation de 2/3. Concrètement, un vote contre vaut en moyenne deux votes pour. Ce seuil ne pose pas de problème en lui-même : il importe en effet qu’un arbitre soit consensuel et accumule un minimum d’inimitiés dans l’espace encyclopédique. Ce qui pose problème c’est l’usage qui en est fait.

Le Comité d’arbitrage fait actuellement face à une opposition multiforme. Certains estiment que la réforme du 2010 a eu un effet plus pervers que salutaire. D’autres pensent que le vers était dans le fruit et que le Comité est par principe incompétent. Ces critiques ne sont pas infondées. De nombreux candidats se sont efforcées d’y répondre, en proposant des solutions plus ou moins radicales : institutionnalisation du statut d’arbitre, abandon progressive du simple blocage au profit de dispositions empiriques, refonte du salon de médiation, acceptation quasi-systématique des demandes d’arbitrage, mise en place d’une page de contestation… Or, la politique des contre systématiques ne donne pas seulement une prime aux suppressionnistes. Elle pénalise les tentatives de réformes qui, simplement parce qu’elles sont déjà dans une posture de légitimation, peinent de toute manière à s’affirmer.

Quitte à détourner une élection, autant que ça marche dans les deux sens. Les contributeurs intéressés à l’avenir de cette institution se devraient ainsi de pratiquer le vote inverse : un oui systématique adressé à l'ensemble des candidats, sauf répulsion particulière.

Le déséquilibre des seuils ne permet certes pas l'exercice d'un véritable référendum. On s'en approchera du moins, dès lors que la communauté prendra pleinement conscience de cette déformation des élections originelles.

lundi 19 septembre 2011

Les Wikipédias sans Comité d'arbitrage : le cas italien.

Les élections pour le renouvellement du Comité d’arbitrage commencent demain (en fait ce soir-même à minuit). Au cours de ces deux dernières semaines, elles ont inspiré de nombreux débats théoriques sur le futur de cette institution. Certains souhaitent une réforme en profondeur, d’autres de simples aménagements empiriques à la réforme de 2010. Quelques uns vont jusqu’à prôner sa disparition. J’ai déjà donné mon opinion là-dessus sur ma page de candidature. Je n’ai rien à rajouter.

Je souhaiterais toutefois livrer ma petite analyse sur une interrogation qui a commencé à émerger sur le bistro d’hier et paraît beaucoup peser dans le débat : quid des Wikipédias sans Comité d’arbitrage ? Celui de la Wikipedia hispanophone (ou Wikipédia.es) a disparu en 2009. La Wikipedia italianophone n’en a apparemment jamais eu. Ces deux wikipédias parviennent-elles à gérer efficacement leurs conflits ? Ont-elles mis en place des organismes de substitution ? Si oui de quelle sorte ? Toute sorte de questions

Pour des raisons d’affinités et de connaissances personnelles, je me suis uniquement penché sur le cas de Wikipédia.it. Si j’ai le temps je ferais peut-être un second billet sur Wikipedia.es…

Mentionnons d’office la principale divergence entre Wikipedia.it et Wikipedia.fr : le mandat d’amministratore n’est pas éternel. Depuis janvier 2010, nos collègues transalpins ont adopté le principe de Riconferma annuale : chaque année les administrateurs en place doivent automatiquement renouveler leur statut. Quelque part, cette procédure rapproche les amministratori des arbitres : le mandat est limité dans le temps, le mandaté doit rendre des compte et dresser un bilan effectif de ses actions. Il semblerait que les italianophones ont adopté une position exactement inverse à l'actuelle Prise de décision sur le cumul des mandats d'arbitre et d'administrateur : au lieu d'être clairement distinguées, les deux fonctions tendent à fusionner en une seule.


Ceci noté, examinons un peu la page consacrée à la résolution de conflit (ou Risoluzione dei conflitti). Elle formalise un processus en trois étapes. Tout d’abord, l’utilisateur est invité à contacter le compte avec lequel il est en conflit sur sa page de discussion (jusqu’ici rien de très normal). Ensuite, si la discussion dégénère, on peut faire appel à un médiateur, soit à un utilisateur neutre, de préférence administrateur (un fonctionnement assez semblable au Salon de médiation à ceci près que l’on insiste préférentiellement sur le cumul administrateur-médiateur). Enfin, si la médiation échoue, il est possible de lancer une richiesta di pareri (ou demande d’avis). En dépit de la similarité lexicale, les richieste ne correspondent pas aux Requêtes aux administrateurs. Tous les contributeurs réguliers sont en effet invités à donner leur avis — à charge pour un administrateur d’appliquer la décision consensuelle.

Or, comme sur wikipédia.fr, les décisions ne sont pas toujours consensuelles. Face à cela, les italiens ont mis au point des jokers : les ultimi soluzioni. Concrètement, les conflits théoriques peuvent donner lieu à un sondaggi — un équivalent de nos PDDs. Les conflits de personnes peuvent être soumis à la page Utenti problematici (utilisateurs problématiques) ou, si un administrateur est en cause, à la page Ammistratori problematici.

Ces solutions de la dernière chance fonctionnent-elles ? Pas très bien en dehors des utenti problematici. Par contraste avec nos PDDs, les sondaggi sont finalement assez peu utilisés (un seul déposé depuis le début de l’année). Dans une même optique, les contestations du statut d’administrateurs sont devenues rarissimes depuis la fin de l’année dernière. Comme le souligne une IP sur une page de discussion : « Lorsqu’on est élu administrateur, on ne reçoit pas une médaille mais un gilet pare-balle (ou, plus exactement, anti-blocage) ».


Il faut reconnaître que le principe d’une reconfirmation du statut tend à décourager les contestations : mieux vaut attendre quelques mois plutôt que de se risquer à entreprendre une procédure assez lourde qui conclut quasi-systématiquement sur la confirmation du statut.


Notons également, à titre historique, l’existence d’une Votazioni sulla messa al bando (littéralement un Vote sur la mise au ban). Cette procédure impliquait de faire voter le destin d’un contributeur problématique. Elle demeure inusité depuis 2009.

En fin de compte, une fois qu’on laisse de côté les procédures désuettes, la Risoluzione dei confitti paraît singulièrement squelettique. Aucune instance autonome ne permet de gérer les conflits entre administrateurs ou entre administrateurs et péons. Le consensus est constamment réclamé, sans que rien ne permette de combler son absence. Comment ce système parvient-il à fonctionner, alors que les RAs s’avèrent généralement incapables de résoudre un conflit durable ?

Ce fonctionnement miraculeux ne tient pas tant à une hypothétique bonne volonté des contributeurs italiens qu’à la structure de la vie communautaire sur Wikpedia.it. Il y a deux fois moins d’amministratore que d’administrateurs (globalement 100 vs. 200). Le rapport d'utilisateurs actifs entre dans les mêmes proportions (2900 vs. 5100). Pour ce que j’ai pu en voir, les discussions théoriques sur l’organisation de l’encyclopédie restent assez limités. Les indications temporelles de l’agrégateur Pianeta Wikimedia sont évocatrices : au cours des deux derniers mois, neuf billets seulement ont été relayés. Le bistro local ou Bar possède une activité très restreinte, uniquement cantonné à de sujets de fond (on est assez loin de notre no man’s land biscornu pour habitués…)

Dans l’ensemble, les interfaces communautaires sont singulièrement réduites. En dehors d’IRC, il n’y a pas vraiment de lieu pour échanger ou méta-communiquer sur ce qui se passe. Cela réduit fortement les probabilités d’un conflit de personne.

Tout ça pour dire quoi ? Que Wikipedia.it diffère structurellement de Wikipedia.fr. Les besoins préludant à l’organisation ne sont pas du tout les mêmes, que l’on en juge quantitativement ou qualitativement. Là où fr est pénalisé par de profondes divisions internes, it souffre d’un certain manque de dynamisme (le nombre de contributeurs actifs stagne complètement depuis 2008). Cette caractérisation n’a peut-être rien de surprenant. Dans la mesure où Wikipédia.fr fait face à un important afflux de contributeurs actifs depuis un an (+300), elle se livre assez naturellement à une importante introspection sur sa manière de faire.

vendredi 16 septembre 2011

wiki-roman-feuilleton (16/60)

J'avais promis de limiter les incursions de mon feuilleton afin de préserver l'identité proprement wikipédienne de ce blog. Cependant, cet épisode présente un certain nombre d'allusions distordues à l'activité et au foklore de l'encyclopédie en ligne. Enjoy…

Guido Colón était soucieux. Il n’en avait rien laissé paraître à Ramaad afin de ne pas le démotiver. A mesure que le TTGV se rapprochait de Genève, ce masque confiant s’estompait. Il cogitait.
— Quelque chose ne va pas ?
— Non. Enfin, j’espère que non.
— J’espère ?
— Nous ne serons pas forcément aidé. Officiellement, le centre wikipédien de Genève dépend du siège francophone de la Fondation — donc de Paris. En réalité il y a, comment dire, une cabale
Ramaad connaissait ce terme. Il faisait originellement parti du folklore associatif. Puis, avec le temps, il avait pris une ampleur plus inquiétante. Au début des années 30, la Fondation avait même failli éclater sous la pression d’une multitude de ligues occultes (le nom de certaines d’entre elles demeuraient un mystère : que cherchaient au juste les inclusionnistes ?). Une ferme reprise en main s’en était suivie, mais les ligues subsistaient : certaines passaient dans l’underground et connaissaient des fortunes plus ou moins variables (plusieurs rumeurs faisaient état d’une affiliation du trésorier de l’encyclopédie francophone avec la ligue jeune-administrateur) ; d’autres conservaient une mainmise locale : c’était le cas de la cabale romande.

De fait, mener une enquête à Genève n’avait rien d’un travail de routine. Il allait falloir ruser, composer avec une multitude d’acteurs différents (les autorités cantonales, la Fondation, la cabale, d’invisibles ennemis…). L’on ne pouvait vraiment compter que sur soi-même. Dur job.

Le TTGV décélérait. Il pénétrait doucement la Grande Gare Souterraine, qualifiée de GGS ou de Souterraine par les gens pressés. Ramaad tira parti des dernières minutes d’approche pour grignoter un kebab végétarien. En dépit de nombreuses tentatives d’accoutumance, son estomac travaillait mal à des vitesses excédant 500 km/h.

Guido Colón connaissait bien la GGS et ses couloirs à tiroirs. Il prit Ramaad par le bras et le guida comme il guiderait un petit enfant. Ils prirent successivement trois escalators, saisirent deux tapis roulants, traversèrent cinq portes automatiques et attrapèrent le sous-marin qui effectuait la navette entre la GGS et la surface du Lac Léman — un bon raccourci.


Ils étaient à peine arrivé à la surface, qu’un conversant-taxi les héla. Colón déclina cette proposition un peu trop appuyée. Le conversant se permit de répondre (son comportement devait être de tout évidence décalqué sur celui d’un vrai taxi) :
— Vous avez tort. On peut facilement se perdre dans Genève.

jeudi 15 septembre 2011

L'infinitième article…

C'est terrible comme l'actualité s'impose à nous. A moins d'avoir bloqué sa télévision sur le canal chaîne météo, on ne peut pas ne pas avoir suivi ce feuilleton printanier puis estival et ses marronniers en cascade. A moins de ne consacrer tout son temps wikipédien qu'à enrichir d'obscurs articles sur d'obscurs philosophes grecs, on ne peut éviter le virulent débat sur les articles automatiques. En bon arbitre que nous sommes, autorisons-nous un rapide rappel des faits.

En juillet, Poulpy décide d'utiliser un éditeur semi-automatisé, AutoWikiBrowser, pour créer rapidement plusieurs centaines d'ébauches. Comme le montre la page d'aide, l'éditeur permet de mettre en œuvre toute une série d'actions sur une liste préselectionnée d'articles (généralement tout une catégorie d'objets admissibles per se, tels que des astéroïdes, des étoiles ou des églises). Avec l'appoint d'une base de donnée adaptée, on peut aboutir à ce type de rendement :


Pour ce type de résultat :


En apparence, ce type de production n'est pas mauvais. La contrainte de l'automatisation entraîne l'adoption d'un style très plat, proche du degré zéro de l'écriture et donc assez rigoureusement encyclopédique (pas d'effusions lyriques comme on en croise souvent sur des biographies de chanteur). L'article est bien indiqué comme ébauche : pas de risque que l'on prenne ses informations pour objet comptant. Plusieurs champs (comme cette section est incomplète) incitent même le lecteur à se faire contributeur. En apparence, tout roule.

Le problème est ailleurs : mais où s'arrêtera-t-on ? Si le nombre d'églises reste encore dans le domaine du mesurable (40 000 en France, mais toutes ne présentent pas d'intérêt historiques), ce n'est pas le cas des astéroïdes et encore moins des étoiles. Comme je le soulignais à LittleTony en août, la plupart des étoiles sont des monstres, des objets qui existent et qui par le seul fait de leur existence revendiquent une prise en compte encyclopédique (si l'on en croit l'équation de Drake, la probabilité est forte que qu'un grand nombre d'entre elles héberge une civilisation extraterrestre, dont les représentants pourraient légitimement se plaindre auprès de la Fondation Wikimédia). Malheureusement, les capacités analytiques de l'espèce humaine reste limitées. Sur les milliards de milliards d'étoiles de notre univers, environ 1 milliard d'entre elles sont référencées dans des bases de données (945,592,683 exactement sur le Guide Star Catalog-II de la Nasa). Sur ce milliard d'étoiles, un petit nombre seulement a dû donner lieu à des études approfondies permettant d'écrire plus qu'une simple ébauche (à louche, de 10 000 à 100 000). Il me semble que c'est peut-être la première fois que la taille de wikipédia est restreinte par celle du savoir humain : dans l'état actuel de la science, on ne peut pas écrire plus qu'une boîte au lettre pour l'énorme majorité des étoiles recensées.

Cette contrainte nouvelle pose un problème de conscience. Potentiellement, sur Wikipédia, chaque article est censé devenir un article de qualité. Les ébauches ne restent des ébauches que tant que personne ne s'intéressent à elles. Or, les articles-boîtes-aux-lettres sur les étoiles sont des ébauches forcées. Leur évolution ne dépend pas du bon vouloir d'un contributeur mais des avancées de la science. Si, du jours au lendemain, on découvre une exoplanète autour d'une étoile-type, nul doute que les ressources académiques vont augmenter considérablement.

Plusieurs réponses ont été apportées à cet écueil inédit. Comme le remarque Ludo, certains contributeurs tendent à poser une sorte d'interdit épistémologique face aux ébauches : tout article nouvellement créé se doit d'être de niveau BD (ou bon début), ce qui exclut de facto les ébauches forcées. Pourquoi pas, après tout ? Sauf que, dans les faits, le niveau « bon début » a une fâcheuse tendance à se confondre avec le niveau B (ou bon), lui-même supposé être proche du bon article labélisé. Avec ce type d'exigences, la progression de wikipédia risque de se ralentir sacrément. Désarçonnées par ces prétentions digne d'une revue à comité de lecture (non, supérieur à cela : sur Wikipédia, je ne suis pas sûr qu'il y aurait eu d'affaire Sokal), les nouveaux contributeurs risquent de se retrouver cantonnées aux tâches de maintenances (file donc me corriger une centaine d'accents et de fautes d'accord avant de pouvoir prétendre créer un article).

Ce sursaut rigoriste me paraît quelque peu marqué par un afflux de nostalgie : les encyclopédies papiers disparaissent et avec elles l'idéal d'un savoir figé. Le terme encyclopédie apparaît au début du XVIe siècle. Il résulte du composé savant de deux termes grecs : énkyklos (rond) et paidea (éducation). Lire une encyclopédie c’est ainsi parcourir le « cercle » de l’éducation. Personnellement, je percevrais là une sorte d’analogie avec la circumnavigation de Magellan : le lecteur fait le « tour » des connaissances humaines, de telle sorte que le terme de son itinéraire est aussi son point de départ. En effet, l’encyclopédie n’implique pas une errance dans un savoir infini, éternellement construit, mais fige un état du savoir, construit une sphère conventionnellement achevée où tout communique. Parce que sphérique, elle ne présente aucune polarité : son centre est partout car nulle part. Chaque point d’accès se vaut également et permet d’accéder à chacun des autres points. Dans le Discours préliminaire à l’Encyclopédie, d’Alembert se fait l’apôtre d’une telle relativité :

Mais comme dans les cartes générales du globe que nous habitons, les objets sont plus ou moins rapprochés, et présentent un coup d’œil différent selon le point de vue où l’œil est placé par le géographe qui construit la carte, de même la forme de l’arbre encyclopédique dépendra du point de vue où l’on se mettra

Le lecteur arpente un espace qu’il sait global sans jamais le réduire à une généralité. Il le définit par la somme des regards toujours situés qu’il peut jeter sur lui.

Or, l'analogue de Wikipédia n'est pas la terre, sphère fixe et immuable, mais l'univers en expansion. L'espace bouge sans cesse, des étoiles se forment, d'autres disparaissent, certaines ne sont qu'à peine ébauchées, d'autres brillent d'une belle lueur labélisée. Un mouvement sans finalité nous entraîne indéfiniment jusqu'à l'infinitième article. Prétendre construire quelque chose de stable sur cette joyeuse fantaisie est aussi raisonnable que d'assigner une place fixe à des étoiles éternellement fuyantes.

Pour finir, notons également que ce débat a des soubassements éthiques. A partir du moment où l'on produit des articles à la chaîne, qui sait si on aura encore longtemps besoin d'utilisateurs humains et de leurs cohortes d'engueulades. En sus de faire leur entrée dans le wiktionnaire, mes conversants vont peut-être bientôt devenir réalité. Bientôt, on verra peut-être surgir ce type de messages :

Wiki-Luddiste de tous les pays, unissez vous pour détruire bots et éditeurs.

NB. Certaines informations données ici (les 10 000 000 d'étoiles) se sont avérées erronées. Elles avaient été communiquées à la communauté wikipédienne par un contributeur-astronome plus soucieux de faire avancer ses pions sur le damier de la wikipolitique que de faciliter la transmission du savoir. Ces manipulations ont été corrigées.