mardi 24 juillet 2012

Processus de décision (2)

Mon précédent billet s’interrogeait sur l’efficacité des processus de décision mis en œuvre sur la wikipédia francophone. Le cas germanophone mettait en évidence l’existence de systèmes alternatifs sans doute plus probants.

J'ai entrepris d'étendre la comparaison à deux autres grandes versions linguistiques de l'encyclopédie en ligne : en et it. Ici un tableau sera sans doute plus parlant qu'un long discours. Je rends ici compte de trois données distinctes : le nom de la procédure existante, la durée d’élaboration (soit le décalage entre le moment où la page accueillant le processus de décision est créée et celui où le vote a effectivement lieu), le nombre de procédures déposées depuis un mois (ce qui fournit un critère d’incitativité : plus il y a de procédures, moins les contributeurs hésitent à les lancer).


Le système italophone est de loin le plus fluide et le plus simple, puisque la prise de décision passe exclusivement par des sondages. Aucune discussion préalable n’est nécessaire : il suffit de créer le vote. Cette simplicité n’offre pas que des avantages. Les modalités du vote sont fréquemment discutées après coup. De fait, la décision finale risque fort de manquer de légitimité. En outre, la souplesse de la procédure ne garantit pas forcément son caractère incitatif : peut-être parce qu’ils redoutent les contestations a posteriori, les italophones se servent assez peu du sondaggio.

Le système anglophone est plus « exotique » (même si l’on peut également estimer qu’il est plus fidèle aux principes élémentaires de Wikipédia). Officiellement, la version anglophone de la page Prise de décision redirige sur Straw Polls, une longue page détaillant pourquoi le recours au vote ne doit pas être systématique et pourquoi le consensus doit primer autant que possible. Par-delà sa charge symbolique, cette page renseigne peu sur les processus de décision de en.wikipedia.org. En réalité, ceux-ci passent pour l’essentiel par les RFC ou Request for Comments. Il ne s’agit pas de voter, mais d’argumenter autour d’une proposition initiale ou d’une thématique ouverte. Concrètement, les contributeurs ne sont pas tenus de répondre par oui ou par non. Ils peuvent très bien proposer des alternatives imprévues. 

Cette analyse comparée souligne par contrecoup les imperfections des PDDs francophones. Les procédures sont longues, peu incitatives (il m’arrive souvent de lire quelque chose comme « Mince, il va falloir faire une PDD ») et très compliquées à amender. Le gain en terme de légitimité n’est pas si évident. En dehors du cas particulier de wp.it, les décisions issues des procédures anglophones ou germanophones ne semblent pas souvent mises en causes.

A ce stade, une réforme me paraît nécessaire. Toutefois, améliorer les PDDs suppose de passer par… une PDD.

dimanche 22 juillet 2012

Processus de décision

L'époque est aux bilans et aux évaluations. Organisée la semaine dernière, Wikimania a permis de mettre en évidence plusieurs écueils importants au développement de Wikipédia. Plusieurs solutions, relativement innovantes ont été évoquées — je vous invite d'ailleurs à consulter le très intéressant compte-rendu de Simon Villeneuve, fraîchement parue sur la gazette hebdomadaire de Canton-de-l'Est. Je profite de ce contexte pour aborder un problème récurrent sur la Wikipédia francophone : la lenteur des processus de décision.

Ça ne correspond sans doute pas à ce qui était initialement prévu mais, dans les faits, proposer une PDD relève du parcours du combattant. Les discussions préalables s'éternisent sur au moins trois mois dans le meilleur des cas — des délais allant jusqu'à un an ne sont pas à exclure. C'est long. Très long.

Par comparaison, à moins d'être intentionnellement noyée sous un bestiaire de sous-commission, une proposition de loi est plus rapidement déposée au Parlement français. Or une PDD s'applique non pas à 60 millions de citoyens, mais à une petite communauté de 5000 contributeurs relativement actifs, dont pas plus de 200 votent ponctuellement aux scrutins communautaires.

Cette lenteur présente-t-elle des avantages aptes à compenser ses inconvénients ? Pour partie, oui. Dans le système actuel, une PDD ne peut être mise au vote que lorsqu'elle répond à la quasi-totalité des objections et remarques soulevées en page de discussion. De fait, la rédaction est rarement biaisée, la consensualité des questions posées n'est presque jamais mise en cause. Ce n'est pas négligeable : une fois adoptée, les décisions ne seront pas contestée.

Pour autant, ces multiples précautions ne règlent pas tout. Après un très long tunnel wikipédiano-juridique, une procédure de contestation du statut d'administrateur a fini par être généralisée en début d'année. La pratique différant quelque peu des prévisions théoriques, plusieurs dysfonctionnements ont été depuis mis en évidence. Assez logiquement, on lance une PDD pour remédier à tout cela. Seulement, comme toute PDD, elle traîne en longueur. La fin de la discussion avait été initialement fixée au 17 juillet. En fait, on est très loin d'en voir le bout. Les divers dysfonctionnements révélés depuis lors risquent fort de subsister pendant au moins quelques mois.

On mesure ici les dangers potentiels d'un processus de décision lent. Supposons qu'une mesure apparemment inoffensive entraîne toute une série d'effets pervers. Nul n'est surhumain au point de tout prévoir : cela peut très bien arriver. Combien de temps faudra-t-il pour corriger le tir ? Faudra-t-il subir ces inconvénients pendant plusieurs mois ?

Dès lors que faire ? quelles alternatives sont possibles ?

Dans le cadre du débat sur l'implantation du Filtre d'image (ou Image Filter), j'avais été amené à jeter un coup d'œil sur les processus de décision de la Wikipédia germanophone. Ce qu'ils font est loin d'être idiot. Le Meinungsbild est une sorte de mixte entre un sondage et une PDD. Pour qu'une proposition soit mise au vote, il suffit de réunir un certain nombre de « signatures ». Comme le montre ce tableau de bord, cette procédure se révèle assez efficace : 10 Meinungsbilder ont été déposés depuis le mois dernier et trois d'entre eux sont en voie d'être présentés à la communauté. Par contraste, 2 PDDs ont été lancées sur la même période et aucune d'entre elles ne s'avère bien avancée…

Meinungsbild et PDD — Une comparaison.
Evidemment, avec le système germonophone la probabilité de voir surgir un texte biaisé augmente : il suffit qu'il contente une dizaine d'utilisateurs autopatrolled. Toutefois, il serait très facile de revenir en arrière. Ce qu'on perd en consensualité, on le gagne en fluidité. Il me semble que l'on gagnerait plutôt au change…

jeudi 19 juillet 2012

Un an…

Wikitrekk fête ses jours-ci son premier anniversaire. Mon premier billet a été publié le 10 juillet 2011. Il présentait mes motivations assez franchement :
Pourquoi est-ce que je m'amuse à lancer un blog à propos de Wikipédia ? Je n'en sais strictement rien […] Très insidieusement, l'encyclopédie en ligne m'a amené à m'impliquer sans cesse plus avant […] Ça y est. C'est foutu. Je ne pourrais plus imaginer un monde sans Wikipédia. Il ne me reste plus qu'à rendre compte du monde avec Wikipédia. Cet avec sera l'objet de ce blog. 
Ainsi, je n’aurais pas pas choisi Wikitrekk. J'aurais simplement franchi une nouvelle étape d’un processus d’implication toujours croissant. En démontre d’ailleurs le fait que, lorsque le besoin s’est fait sentir, Wikitrekk a fait des petits : Hotel Wikipedia, dans une optique plus généraliste et Internationalwikitrekk, dans une optique plus internationalisée…

 Il est toujours difficile d’évaluer ses propres créations. Wikitrekk est-il bon ou médiocre, nécessaire ou subsidiaire, je dois dire que je n’en sais rien. Par contre, il m’est possible de juger son adéquation à sa conception originelle. Wikitrekk a-t-il accompli toutes ses promesses ?

Je m’étais fixé initialement deux missions distinctes.

La première a été assez rapidement délaissée. Il s’agissait de produire une sorte des « analyses créatrices » de divers articles de Wikipédia. Je m’efforçais de réaliser un Wikigrill alternatif, qui ne viserait pas à démonter un article, mais à le corriger. A ce jour, l’exercice n’a été pleinement réalisé qu’une seule fois, à propos de la Politique étrangère du Vatican. J’y reviendrai peut-être (pour ceux qui aiment le pointu grave, je songe à faire quelque chose sur les amphibiens et les proto-reptiles du carbonifère supérieur…).

Ma seconde mission s’est avérée plus heureuse : suivre, publiciser et, éventuellement, provoquer les débats sur le fonctionnement de l’encyclopédie. Ce faisant, je me suis un peu comporté en reporter wikipédien, se transportant éventuellement sur des terrains étrangers (surtout en pays germanophone ou italophone). Je me suis ainsi retrouvé face à un lectorat d’une diversité insoupçonnée : des allemands, des italiens, mais aussi des chinois, des finlandais, des brésiliens…

Cartographie du lectorat de Wikitrekk
Dans ce cadre, Wikitrekk reflète pour partie les préoccupations d’une année wikipédienne, d’ailleurs plutôt chargée. Que ce soit à l’intérieur ou en périphérie de l’encyclopédie, les sujets d’accords et de désaccords n’ont pas manqué.

C’est que Wikipédia tend à devenir un sujet de société au sens large. Ce statut lui donne des responsabilité nouvelles : l’encyclopédie en vient presque à assurer un service public de la connaissance avec toutes les conséquences que cela suppose en terme d’accessibilité et d’accueil des nouveau. Cela lui confère également un pouvoir, comme le démontre l’efficacité (mais aussi, peut-être, la nocivité) des blackouts de protestations — le dernier en date est d’ailleurs tout récent.

Ceci m’amène à proposer une sélection de douze billet, comme les douze mois de l’année — à ceci près que l’appariement d’un mois et d’un billet n’est pas véritablement respecté. Pour diverses raisons, novembre, avril et mai sont absents du lots, ce qui profite in fine à août, janvier et juin.

Juillet : Easy come, uneasy go. Le Billet qui m’a lancé, en partie grâce à une recension du Choix du Chaos. Le hasard voulait que je commence mon blog, au moment où Alithia fermait le sien. L’analyse se doublait ici d’une sorte de correspondance symbolique.

Août (1) : Par voie référendaire. La Wikimedia Foundation organisait une vaste consultation autour de l’implantation prochaine d’un filtre d’image, soit d’une fonctionnalité permettant de masquer les images jugées choquantes par un utilisateur. Le point qui me dérageait le plus ici était d’ordre procédural : le référendum ne mettait jamais en question l’Image Filter dans son principe-même, mais discutait uniquement de ses modalités. Suivant l’exemple de nos cousins germains, j’ai fini par lancer un sondage local sur la wikipédia francophone. On a peu entendu parler du filtre depuis — ce qui me laisse à penser qu’il se trouve vraisemblablement en development hell.

Août (2) : Deux poids, une mesure. Dans un papier paru dans le Monde des livres, Pierre Assouline prend la défense d’un plagiaire notoire, Joseph Macé-Scaron. Il en profite pour dénoncer le rôle de gendarme de Wikipédia — l’article sur Macé-Scaron a très vite rapporté ses faits et méfaits. Une posture plutôt paradoxale, si l’on songe que quelques années plus tôt, il critiquait l’encyclopédie pour sa propension à encourager le plagiat estudiantin…

Septembre : Les Wikipédias sans Comité d'arbitrage : le cas italien. En plein débat sur le fonctionnement du Comité d’arbitrage (qui se poursuit d’ailleurs encore aujourd’hui), je tentais une incursion sur une Wikipédia qui fonctionne sans recourir à ce mode de résolution des conflits. L’intérêt de ce billet, c’est surtout que j’ai commencé à me familiariser à l’organisation de la WIkipédia italienne, juste avant qu’elle ne se retrouve sous les feux de l’actualité…

Octobre : La fin temporaire de la Wikipédia italienne. Pendant plusieurs jours, le blackout de la Wikipédia italienne a largement occupé mon esprit. Cet intérêt s’est prolongé par-delà ce blog. J’ai ainsi rédigé la traduction officielle du manifeste des utilisateurs italiens. Tout récemment je signalais que de nouvelles discussions étaient en cours à propos d’un nouveau blackout — la situation s’étant temporairement éclaircie, ça n’a finalement rien donné.

Décembre : La Wikipédia anglophone en grève La série des blackouts se poursuit et touche désormais la Wikipédia anglophone. A ce stade la grève n’était pas encore acté, mais si le processus d’acceptation était en bonne voie. Pour la suite de l’histoire, on peut se référer à un autre billet, publié sur Rue89.

Janvier (1) : Le tournant. J’aime bien ce billet, paru en début d’année, qui vise à dresser une sorte bilan prospectif de l’encyclopédie. Le point essentiel qui en ressort, c’est la nécessité d’améliorer l’accessibilité de l’interface encyclopédique et d’encourager les contributions ponctuelles. On devrait ainsi passer d’une relation contributeur / lecteur à une relation contributeur actif / contributeur potentiel.

Janvier (2) : Wikibétisation partielle. Dans la lignée du billet précédent, je préconisais de dégager une sorte de digest (c’est-à-dire les règles et modèles essentiels à connaître pour pouvoir commencer à contribuer sans se faire jeter). Le gros travail mené par le projet Accueil des nouveaux a permis d’avancer considérablement sur ce terrain.

Février : Universitaires sans critères. Je proposais ici de créer un namespace Auteur:, destiné à accueillir des informations fondamentales sur les universitaires et chercheurs, qui ne seraient pas admissibles sur l’espace encyclopédique. Les sources produites par ces derniers sont en effet préférentiellement utilisées pour référencer le contenu encyclopédique. De cette petite réflexion, j’ai tiré une proposition plus large… qui n’a finalement pas donné grand chose. La mise en place de Wikidata condamne pour l’heure cette initiative à un certain development hell.

Mars : Esprit critique. Il s’agit d’une réaction à l’expérience menée par le professeur Loys Bonot, qui a intentionnellement vandalisé une page wikipédia pour tromper ses élèves. Je me suis aperçu entre-temps que celiui-ci m’a répondu sur son blog. Enfin, répondre est un bien grand mot. Disons plutôt qu’il a « corrigé ma copie » en soulignant dûment en rouge les passages jugés hors sujet ou irrecevable. Si c’est ça l’esprit critique qu’il promeut, je ne suis pas certain que ça soit indispensable…

Juin (1) : Autocitation. La problématique de l’autocitation (le fait de citer ses propres travaux universitaires dans le cadre d’un article de wikipédia) paraît assez limitée aujourd’hui. Elle risque peut-être de prendre de l’ampleur par la suite en raison de l’intrication croissante entre l’encyclopédie et le monde universitaire. On va peut-être voir émerger une classe de super-contributeur, capable d’agir non seulement de reporter, mais aussi de créer, indirectement, le contenu encyclopédique…

Juin (2) : Où en est Wikidata ? Je clos donc la série sur Wikidata. Je m’intéresse ici aux procédés élémentaires de la grammaire wikidatienne et à ses potentialités en terme de rédaction encyclopédique. C’est ainsi que l’on s’achemine doucement sur le territoire de la science fiction. Ce qui confère d’ailleurs à mon wiki-roman-feuilleton de l’été dernier une certaine portée prédictive. Je prévoyais ni plus ni moins que l'essentiel des contributions seraient le fait de super-bots :
Les bots représentaient désormais près de 99,5% des contributions. Mis au point en 2036, le programme SC, ou synthèse-conversant remplaçait adéquatement la plupart des interventions humaines. Les bots pouvaient synthétiser n’importe quel texte de référence. Ils étaient capables de justifier leur modifications et d’en discuter avec n’importe quel intervenant humain.