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jeudi 15 septembre 2011

L'infinitième article…

C'est terrible comme l'actualité s'impose à nous. A moins d'avoir bloqué sa télévision sur le canal chaîne météo, on ne peut pas ne pas avoir suivi ce feuilleton printanier puis estival et ses marronniers en cascade. A moins de ne consacrer tout son temps wikipédien qu'à enrichir d'obscurs articles sur d'obscurs philosophes grecs, on ne peut éviter le virulent débat sur les articles automatiques. En bon arbitre que nous sommes, autorisons-nous un rapide rappel des faits.

En juillet, Poulpy décide d'utiliser un éditeur semi-automatisé, AutoWikiBrowser, pour créer rapidement plusieurs centaines d'ébauches. Comme le montre la page d'aide, l'éditeur permet de mettre en œuvre toute une série d'actions sur une liste préselectionnée d'articles (généralement tout une catégorie d'objets admissibles per se, tels que des astéroïdes, des étoiles ou des églises). Avec l'appoint d'une base de donnée adaptée, on peut aboutir à ce type de rendement :


Pour ce type de résultat :


En apparence, ce type de production n'est pas mauvais. La contrainte de l'automatisation entraîne l'adoption d'un style très plat, proche du degré zéro de l'écriture et donc assez rigoureusement encyclopédique (pas d'effusions lyriques comme on en croise souvent sur des biographies de chanteur). L'article est bien indiqué comme ébauche : pas de risque que l'on prenne ses informations pour objet comptant. Plusieurs champs (comme cette section est incomplète) incitent même le lecteur à se faire contributeur. En apparence, tout roule.

Le problème est ailleurs : mais où s'arrêtera-t-on ? Si le nombre d'églises reste encore dans le domaine du mesurable (40 000 en France, mais toutes ne présentent pas d'intérêt historiques), ce n'est pas le cas des astéroïdes et encore moins des étoiles. Comme je le soulignais à LittleTony en août, la plupart des étoiles sont des monstres, des objets qui existent et qui par le seul fait de leur existence revendiquent une prise en compte encyclopédique (si l'on en croit l'équation de Drake, la probabilité est forte que qu'un grand nombre d'entre elles héberge une civilisation extraterrestre, dont les représentants pourraient légitimement se plaindre auprès de la Fondation Wikimédia). Malheureusement, les capacités analytiques de l'espèce humaine reste limitées. Sur les milliards de milliards d'étoiles de notre univers, environ 1 milliard d'entre elles sont référencées dans des bases de données (945,592,683 exactement sur le Guide Star Catalog-II de la Nasa). Sur ce milliard d'étoiles, un petit nombre seulement a dû donner lieu à des études approfondies permettant d'écrire plus qu'une simple ébauche (à louche, de 10 000 à 100 000). Il me semble que c'est peut-être la première fois que la taille de wikipédia est restreinte par celle du savoir humain : dans l'état actuel de la science, on ne peut pas écrire plus qu'une boîte au lettre pour l'énorme majorité des étoiles recensées.

Cette contrainte nouvelle pose un problème de conscience. Potentiellement, sur Wikipédia, chaque article est censé devenir un article de qualité. Les ébauches ne restent des ébauches que tant que personne ne s'intéressent à elles. Or, les articles-boîtes-aux-lettres sur les étoiles sont des ébauches forcées. Leur évolution ne dépend pas du bon vouloir d'un contributeur mais des avancées de la science. Si, du jours au lendemain, on découvre une exoplanète autour d'une étoile-type, nul doute que les ressources académiques vont augmenter considérablement.

Plusieurs réponses ont été apportées à cet écueil inédit. Comme le remarque Ludo, certains contributeurs tendent à poser une sorte d'interdit épistémologique face aux ébauches : tout article nouvellement créé se doit d'être de niveau BD (ou bon début), ce qui exclut de facto les ébauches forcées. Pourquoi pas, après tout ? Sauf que, dans les faits, le niveau « bon début » a une fâcheuse tendance à se confondre avec le niveau B (ou bon), lui-même supposé être proche du bon article labélisé. Avec ce type d'exigences, la progression de wikipédia risque de se ralentir sacrément. Désarçonnées par ces prétentions digne d'une revue à comité de lecture (non, supérieur à cela : sur Wikipédia, je ne suis pas sûr qu'il y aurait eu d'affaire Sokal), les nouveaux contributeurs risquent de se retrouver cantonnées aux tâches de maintenances (file donc me corriger une centaine d'accents et de fautes d'accord avant de pouvoir prétendre créer un article).

Ce sursaut rigoriste me paraît quelque peu marqué par un afflux de nostalgie : les encyclopédies papiers disparaissent et avec elles l'idéal d'un savoir figé. Le terme encyclopédie apparaît au début du XVIe siècle. Il résulte du composé savant de deux termes grecs : énkyklos (rond) et paidea (éducation). Lire une encyclopédie c’est ainsi parcourir le « cercle » de l’éducation. Personnellement, je percevrais là une sorte d’analogie avec la circumnavigation de Magellan : le lecteur fait le « tour » des connaissances humaines, de telle sorte que le terme de son itinéraire est aussi son point de départ. En effet, l’encyclopédie n’implique pas une errance dans un savoir infini, éternellement construit, mais fige un état du savoir, construit une sphère conventionnellement achevée où tout communique. Parce que sphérique, elle ne présente aucune polarité : son centre est partout car nulle part. Chaque point d’accès se vaut également et permet d’accéder à chacun des autres points. Dans le Discours préliminaire à l’Encyclopédie, d’Alembert se fait l’apôtre d’une telle relativité :

Mais comme dans les cartes générales du globe que nous habitons, les objets sont plus ou moins rapprochés, et présentent un coup d’œil différent selon le point de vue où l’œil est placé par le géographe qui construit la carte, de même la forme de l’arbre encyclopédique dépendra du point de vue où l’on se mettra

Le lecteur arpente un espace qu’il sait global sans jamais le réduire à une généralité. Il le définit par la somme des regards toujours situés qu’il peut jeter sur lui.

Or, l'analogue de Wikipédia n'est pas la terre, sphère fixe et immuable, mais l'univers en expansion. L'espace bouge sans cesse, des étoiles se forment, d'autres disparaissent, certaines ne sont qu'à peine ébauchées, d'autres brillent d'une belle lueur labélisée. Un mouvement sans finalité nous entraîne indéfiniment jusqu'à l'infinitième article. Prétendre construire quelque chose de stable sur cette joyeuse fantaisie est aussi raisonnable que d'assigner une place fixe à des étoiles éternellement fuyantes.

Pour finir, notons également que ce débat a des soubassements éthiques. A partir du moment où l'on produit des articles à la chaîne, qui sait si on aura encore longtemps besoin d'utilisateurs humains et de leurs cohortes d'engueulades. En sus de faire leur entrée dans le wiktionnaire, mes conversants vont peut-être bientôt devenir réalité. Bientôt, on verra peut-être surgir ce type de messages :

Wiki-Luddiste de tous les pays, unissez vous pour détruire bots et éditeurs.

NB. Certaines informations données ici (les 10 000 000 d'étoiles) se sont avérées erronées. Elles avaient été communiquées à la communauté wikipédienne par un contributeur-astronome plus soucieux de faire avancer ses pions sur le damier de la wikipolitique que de faciliter la transmission du savoir. Ces manipulations ont été corrigées.