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jeudi 19 juillet 2012

Un an…

Wikitrekk fête ses jours-ci son premier anniversaire. Mon premier billet a été publié le 10 juillet 2011. Il présentait mes motivations assez franchement :
Pourquoi est-ce que je m'amuse à lancer un blog à propos de Wikipédia ? Je n'en sais strictement rien […] Très insidieusement, l'encyclopédie en ligne m'a amené à m'impliquer sans cesse plus avant […] Ça y est. C'est foutu. Je ne pourrais plus imaginer un monde sans Wikipédia. Il ne me reste plus qu'à rendre compte du monde avec Wikipédia. Cet avec sera l'objet de ce blog. 
Ainsi, je n’aurais pas pas choisi Wikitrekk. J'aurais simplement franchi une nouvelle étape d’un processus d’implication toujours croissant. En démontre d’ailleurs le fait que, lorsque le besoin s’est fait sentir, Wikitrekk a fait des petits : Hotel Wikipedia, dans une optique plus généraliste et Internationalwikitrekk, dans une optique plus internationalisée…

 Il est toujours difficile d’évaluer ses propres créations. Wikitrekk est-il bon ou médiocre, nécessaire ou subsidiaire, je dois dire que je n’en sais rien. Par contre, il m’est possible de juger son adéquation à sa conception originelle. Wikitrekk a-t-il accompli toutes ses promesses ?

Je m’étais fixé initialement deux missions distinctes.

La première a été assez rapidement délaissée. Il s’agissait de produire une sorte des « analyses créatrices » de divers articles de Wikipédia. Je m’efforçais de réaliser un Wikigrill alternatif, qui ne viserait pas à démonter un article, mais à le corriger. A ce jour, l’exercice n’a été pleinement réalisé qu’une seule fois, à propos de la Politique étrangère du Vatican. J’y reviendrai peut-être (pour ceux qui aiment le pointu grave, je songe à faire quelque chose sur les amphibiens et les proto-reptiles du carbonifère supérieur…).

Ma seconde mission s’est avérée plus heureuse : suivre, publiciser et, éventuellement, provoquer les débats sur le fonctionnement de l’encyclopédie. Ce faisant, je me suis un peu comporté en reporter wikipédien, se transportant éventuellement sur des terrains étrangers (surtout en pays germanophone ou italophone). Je me suis ainsi retrouvé face à un lectorat d’une diversité insoupçonnée : des allemands, des italiens, mais aussi des chinois, des finlandais, des brésiliens…

Cartographie du lectorat de Wikitrekk
Dans ce cadre, Wikitrekk reflète pour partie les préoccupations d’une année wikipédienne, d’ailleurs plutôt chargée. Que ce soit à l’intérieur ou en périphérie de l’encyclopédie, les sujets d’accords et de désaccords n’ont pas manqué.

C’est que Wikipédia tend à devenir un sujet de société au sens large. Ce statut lui donne des responsabilité nouvelles : l’encyclopédie en vient presque à assurer un service public de la connaissance avec toutes les conséquences que cela suppose en terme d’accessibilité et d’accueil des nouveau. Cela lui confère également un pouvoir, comme le démontre l’efficacité (mais aussi, peut-être, la nocivité) des blackouts de protestations — le dernier en date est d’ailleurs tout récent.

Ceci m’amène à proposer une sélection de douze billet, comme les douze mois de l’année — à ceci près que l’appariement d’un mois et d’un billet n’est pas véritablement respecté. Pour diverses raisons, novembre, avril et mai sont absents du lots, ce qui profite in fine à août, janvier et juin.

Juillet : Easy come, uneasy go. Le Billet qui m’a lancé, en partie grâce à une recension du Choix du Chaos. Le hasard voulait que je commence mon blog, au moment où Alithia fermait le sien. L’analyse se doublait ici d’une sorte de correspondance symbolique.

Août (1) : Par voie référendaire. La Wikimedia Foundation organisait une vaste consultation autour de l’implantation prochaine d’un filtre d’image, soit d’une fonctionnalité permettant de masquer les images jugées choquantes par un utilisateur. Le point qui me dérageait le plus ici était d’ordre procédural : le référendum ne mettait jamais en question l’Image Filter dans son principe-même, mais discutait uniquement de ses modalités. Suivant l’exemple de nos cousins germains, j’ai fini par lancer un sondage local sur la wikipédia francophone. On a peu entendu parler du filtre depuis — ce qui me laisse à penser qu’il se trouve vraisemblablement en development hell.

Août (2) : Deux poids, une mesure. Dans un papier paru dans le Monde des livres, Pierre Assouline prend la défense d’un plagiaire notoire, Joseph Macé-Scaron. Il en profite pour dénoncer le rôle de gendarme de Wikipédia — l’article sur Macé-Scaron a très vite rapporté ses faits et méfaits. Une posture plutôt paradoxale, si l’on songe que quelques années plus tôt, il critiquait l’encyclopédie pour sa propension à encourager le plagiat estudiantin…

Septembre : Les Wikipédias sans Comité d'arbitrage : le cas italien. En plein débat sur le fonctionnement du Comité d’arbitrage (qui se poursuit d’ailleurs encore aujourd’hui), je tentais une incursion sur une Wikipédia qui fonctionne sans recourir à ce mode de résolution des conflits. L’intérêt de ce billet, c’est surtout que j’ai commencé à me familiariser à l’organisation de la WIkipédia italienne, juste avant qu’elle ne se retrouve sous les feux de l’actualité…

Octobre : La fin temporaire de la Wikipédia italienne. Pendant plusieurs jours, le blackout de la Wikipédia italienne a largement occupé mon esprit. Cet intérêt s’est prolongé par-delà ce blog. J’ai ainsi rédigé la traduction officielle du manifeste des utilisateurs italiens. Tout récemment je signalais que de nouvelles discussions étaient en cours à propos d’un nouveau blackout — la situation s’étant temporairement éclaircie, ça n’a finalement rien donné.

Décembre : La Wikipédia anglophone en grève La série des blackouts se poursuit et touche désormais la Wikipédia anglophone. A ce stade la grève n’était pas encore acté, mais si le processus d’acceptation était en bonne voie. Pour la suite de l’histoire, on peut se référer à un autre billet, publié sur Rue89.

Janvier (1) : Le tournant. J’aime bien ce billet, paru en début d’année, qui vise à dresser une sorte bilan prospectif de l’encyclopédie. Le point essentiel qui en ressort, c’est la nécessité d’améliorer l’accessibilité de l’interface encyclopédique et d’encourager les contributions ponctuelles. On devrait ainsi passer d’une relation contributeur / lecteur à une relation contributeur actif / contributeur potentiel.

Janvier (2) : Wikibétisation partielle. Dans la lignée du billet précédent, je préconisais de dégager une sorte de digest (c’est-à-dire les règles et modèles essentiels à connaître pour pouvoir commencer à contribuer sans se faire jeter). Le gros travail mené par le projet Accueil des nouveaux a permis d’avancer considérablement sur ce terrain.

Février : Universitaires sans critères. Je proposais ici de créer un namespace Auteur:, destiné à accueillir des informations fondamentales sur les universitaires et chercheurs, qui ne seraient pas admissibles sur l’espace encyclopédique. Les sources produites par ces derniers sont en effet préférentiellement utilisées pour référencer le contenu encyclopédique. De cette petite réflexion, j’ai tiré une proposition plus large… qui n’a finalement pas donné grand chose. La mise en place de Wikidata condamne pour l’heure cette initiative à un certain development hell.

Mars : Esprit critique. Il s’agit d’une réaction à l’expérience menée par le professeur Loys Bonot, qui a intentionnellement vandalisé une page wikipédia pour tromper ses élèves. Je me suis aperçu entre-temps que celiui-ci m’a répondu sur son blog. Enfin, répondre est un bien grand mot. Disons plutôt qu’il a « corrigé ma copie » en soulignant dûment en rouge les passages jugés hors sujet ou irrecevable. Si c’est ça l’esprit critique qu’il promeut, je ne suis pas certain que ça soit indispensable…

Juin (1) : Autocitation. La problématique de l’autocitation (le fait de citer ses propres travaux universitaires dans le cadre d’un article de wikipédia) paraît assez limitée aujourd’hui. Elle risque peut-être de prendre de l’ampleur par la suite en raison de l’intrication croissante entre l’encyclopédie et le monde universitaire. On va peut-être voir émerger une classe de super-contributeur, capable d’agir non seulement de reporter, mais aussi de créer, indirectement, le contenu encyclopédique…

Juin (2) : Où en est Wikidata ? Je clos donc la série sur Wikidata. Je m’intéresse ici aux procédés élémentaires de la grammaire wikidatienne et à ses potentialités en terme de rédaction encyclopédique. C’est ainsi que l’on s’achemine doucement sur le territoire de la science fiction. Ce qui confère d’ailleurs à mon wiki-roman-feuilleton de l’été dernier une certaine portée prédictive. Je prévoyais ni plus ni moins que l'essentiel des contributions seraient le fait de super-bots :
Les bots représentaient désormais près de 99,5% des contributions. Mis au point en 2036, le programme SC, ou synthèse-conversant remplaçait adéquatement la plupart des interventions humaines. Les bots pouvaient synthétiser n’importe quel texte de référence. Ils étaient capables de justifier leur modifications et d’en discuter avec n’importe quel intervenant humain.

vendredi 17 février 2012

De l'accessibilité des sources…

Un peu plus d'un mois après la publication de mon billet sur la Wikibétisation partielle, je me décide enfin à en publier la suite promise.

Comme je le soulignais, seul l'usage de la balise <ref></ref> est vraiment essentiel pour rédiger un texte encyclopédique. Elle permet une double vérifiabilité : celle de l'énoncé (qui n'a pas été inventé pour l'occasion mais provient apparemment d'une source préexistante) et celle de la valeur-même de la référence (une notice bibliographique de type « Jean Bidasse, Mémoire d'un concierge sur les bruits qui courent en ville, Dinard, 1851 » ne sera pas forcément autant appréciée que « Julius Krasnoïark, Analyse exégétique de la valeur-marchande dans l'œuvre de Karl Marx, CNRS éditions, Paris, 2011 »). Elle fonde la légitimité de Wikipédia, son crédit auprès de dizaines de millions de lecteurs.

Par comparaison, le reste est important mais pas primordial. La wikification, les catégories, les subdivisions peuvent être présentes ou pas, sans nuire à la crédibilité de l'article (évidemment, il n'en va pas de même en terme de facilité de lecture). Il paraît de fait envisageable de contribuer sans y recourir, sans assimiler entièrement la syntaxe wiki ; des contributeurs confirmés se chargeant ensuite de corriger et nettoyer le texte brut ainsi produit.

Le problème qui se pose ici tient à la sociologie des « contributeurs potentiels ». Deux expertises facilitent éminemment l'intégration dans la communauté : l'expertise informatique (familiarité préalable à la syntaxe wiki) et l'expertise universitaire (familiarité préalable aux règles de la rédaction encyclopédique). L'une et l'autre peuvent suffire individuellement. La connaissance du code permet déjà de se livrer à des modifications de forme (travail de wikifourmi, patrouille etc.) qui, par une pratique répétée, entraînent une accoutumance progressive aux exigences du travail collaboratif. La connaissance de l'écriture scientifique permet, via une wikibétisation partielle, de concevoir des articles « bruts » ; ce faisant, on peut acquérir par strates successives les principales balises et fonctions.


Schéma sociologique de la population wikipédienne


Le code et l'écriture scientifique constituent ainsi deux portes d'entrées qui autorisent, à terme et si tout se passe bien, un accès intégral. Mais qu'en est-il lorsqu'aucune des portes ne s'ouvre complètement ? Quid de l'amateur désintéressé, qui voudrait simplement apporter sa petite pierre à l'édifice ? Il peut sans doute s'intégrer sous trois conditions : être motivé, motivé et motivé, ce qui, on le conçoit bien, prend du temps et de l'énergie. Ici se situe probablement l'une des explications du déclin relatif des contributeurs, constaté dans la plupart des wikipédia (mais pas ou peu dans la francophone) : la population visée est assez limitée (disons pour faire large qu'elle regroupe surtout une certaine élite intellectuelle à laquelle on peut adjoindre une minorité de passionnés, prêt à franchir tous les obstacles pour rejoindre l'une des grandes aventures du moment) ; l'amateurisme est découragé (pour être sûr que son travail sera accepté / apprécié, il n'y a pas vraiment d'autres solutions que de contribuer régulièrement).

Tout ceci me laisse à penser que l'encyclopédie se doit d'élargir ses missions et compétences . Il ne s'agit plus seulement d'offrir une information fiable au lecteur, mais d'initier les contributeurs potentiels voire (soyons fous) l'ensemble du lectorat à la fabrique de cette information.

La faculté de discrimination des sources n'est pas très difficile à acquérir. Pour le résumer très grossièrement, plusieurs éléments entrent en ligne de compte : la date de première publication (cela dépend des disciplines, mais, globalement, dans les sciences humaines sont jugées acceptables tous les articles et ouvrages publiés il y a moins de 30-40 ans) ; le statut de l'auteur et sa notoriété (c'est probablement le plus difficile à établir : à moins d'avoir un descriptif précis dans le texte, la meilleure solution consiste à le googliser et voir ce qui en ressort) ; le statut de la maison d'édition et/ou de la collection (de préférence scientifique ou généraliste) ; l'apparence-même du texte (même s'il remplit toutes les conditions antérieures, un texte sans références est plutôt louche).

Evidemment, cette faculté de discrimination est sévèrement entravée dès lors que les textes ne sont pas facilement accessible. Seul un contributeur régulier va emprunter une source adaptée en bibliothèque (voire en faire l'acquisition). Les autres font avec ce qu'ils ont chez eux, ou ne font rien du tout.

C'est un problème sérieux. La légitimité d'un contributeur dépend étroitement de la qualité de ses sources : plus elles sont médiocres, plus il aura de mal à défendre ses postures éditoriales et plus son activité sera découragée. Les contributeurs confirmés et/ou ceux qui possèdent une formation universitaire avancée disposent d'un avantage décisif contre les autres : ils savent comment accéder aux bons textes.

Wikipédia ne peut pas grand chose contre cette inégalité a priori. La réponse vient d'ailleurs : les sources de qualité deviennent de plus en plus accessibles sur Internet. La fonction aperçu de Google permet déjà d'accéder à de larges fragments d'un ouvrage donné. Et puis, surtout, la publication libre différée des revues scientifiques tend à devenir la norme. En France, chercheurs et étudiants pratiquent couramment Persée ou Cairn depuis déjà quelque temps. Enfin, certains auteurs mettent individuellement en ligne leurs thèses ou d'autres études scientifiques qui dormaient jusqu'alors dans quelque obscure recoin de bibliothèque.

Cette dynamique d'accessibilité connaît toutefois quelques ratés. Il y a deux semaines, le blog Matières vivantes donnait un inquiétant compte-rendu des basses manœuvres des éditeurs de revues scientifiques américaines. Leurs lobbyistes tentent ainsi d'abattre une loi de 2008 qui mettait en open access la plupart des articles en biologie et médecine. Les chercheurs sont apparemment les premiers à s'opposer à cette re-privatisation : ils ne gagnent quasiment rien avec leurs articles ; leur diffusion sur Internet contribue à élargir leur notoriété par-delà les cercles scientifiques (c'est ce qu'on appelle, dans le jargon interne, de la valorisation).

Raté ou pas, on se retrouve quand même avec un beau corpus de sources de qualité, dont seul une faible partie est effectivement exploitée sur Wikipédia. Pour cette raison, je me demande si on ne devrait pas organiser des recensements systématiques des bonnes références en ligne. Cela pourrait se faire au niveau des articles — à défaut d'améliorer une ébauche, on pourrait proposer une sorte de kit clé en main pour faciliter le travail du contributeur qui souhaitera s'y coller. Cela pourrait aussi se faire au niveau des portails — des pages d'aides listerait les ressources de référence dans un domaine concerné, et donneraient quelques indications générales sur leur utilisation.

Concrètement, ces « recensements » amélioreraient probablement l'intégration des nouveaux contributeurs. Ceux-ci disposeraient rapidement des sources considérées comme les plus légitimes. Leur lecture et leur décorticage posera sans doute quelques difficultés même si dans l'ensemble, la plupart des articles et études de science humaines et sociales sont compréhensibles pour quiconque a une bonne base de culture générale. Mes propres travaux universitaires ont tendance à être interdisciplinaires : je n'ai jamais eu véritablement de difficulté à reprendre et à croiser des données venues de la musicologie, de l'économie, de l'histoire, des sciences politiques ou de la sociologie.

En outre, ces « recensements » s'inscriraient dans une grande tendance de fond de l'encyclopédie en ligne, en faveur de la collecte et de la computation de données. En avril, la Fondation Wikimédia va ainsi lancer le projet Wikidata qui sera effectif d'ici un ou deux ans. J'aurais très prochainement l'occasion d'en reparler.

samedi 24 septembre 2011

Et pourtant elle tourne…

Cet après-midi, en descendant le boulevard Saint-Germain, je suis tombé nez-à-nez avec ceci :


Deux messages contradictoires se succèdent. Le panneau supérieur nous dit d'abord que ce distributeur est en service. La présence de scotchs croisés et d'une mention HS spécifient en fait qu'il ne fonctionne pas.

Pour comprendre Wikipédia, il suffit d'inverser cette image. Un panneau indique qu'elle est Hors service. Et pourtant elle tourne

mercredi 27 juillet 2011

CAr ou rien ?

Il est toujours amusant de constater à quel point un blog peut virer de ses intentions initiales. A l'origine, je souhaitais faire une sorte de Wikigrill amélioré : chaque billet serait consacré à un article de Wikipédia et viserait non seulement à en dresser le bilan, mais à l'améliorer. C'était là tout le sens de ce titre : Wikitrekk, un voyage ou trekking qui m'amènerait à tomber sur des trucs plus ou moins bons, que j'améliorerais plus ou moins bien. Jusqu'ici, je n'ai réalisé cet exercice qu'une seule fois. Et quelque chose me dit que je ne suis pas prêt de le réitérer.

Progressivement, mon attention a glissé vers des sujets de plus en plus généraux, et voilà qu'elle s'apprête à embrasser un sujet que je m'étais bien juré de ne jamais aborder : le Comité d'arbitrage. Face à cette institution wikipédienne assez méconnue du grand public, quoique jouant un rôle fondamental dans la régulation de l'encyclopédie collaborative, j'occupe une position problématique : je suis arbitre. En tant que tel, je suis astreint à un certain devoir de réserve. Et puis, surtout, je risque, au sens propre, d'être juge et parti — comment un juge pourrait-il juger son propre statut de juge ? Pourtant, plusieurs vicissitudes récentes me forcent à surmonter cette gêne initiale. Le Comité d'arbitrage est actuellement sous le feu de l'actualité wikipédienne. Si je tiens à écrire un blogdewikipédia (tiens un néologisme…), je ne peux pas ne pas en parler. Commençons doctement…

De même que l'économie connaît ses cycles de Juglar et de Kondratieff, le comité est régulièrement affecté de certaines « crises », dont la récurrence est pour le moins troublante. Tout les deux à quatre mois se rejoue notamment un conflit opposant les anti-CAr (ainsi désignerons-nous, pour plus de commodité un groupe finalement assez restreint de contributeurs souhaitant sa disparition) et le reste de la communauté. La thématique change mais les argumentaires et les protagonistes se renouvellent peu. En mars dernier, une campagne de déstabilisation fut lancé à l'encontre des Élections d'arbitres pour le 13e CAr, en votant systématiquement contre pour chaque candidature — « A mon humble avis, le comité d'arbitrage est une poubelle qui rassemble le pire de ce que wikipédia peut engendrer de plus méprisable » (Jean-Jacques Georges). La manœuvre a dans l'ensemble échoué, même si elle a manqué de peu d'invalider l'élection d'un des candidats. S'ensuit en avril-mai un vibrant débat sur une thématique assez pointue : les arbitres peuvent-ils modérer librement les témoignages ? Restée irrésolue, la question est finalement tranchée sur une PDD, qui donne sans ambiguïté gain de cause au CAr — « Ils représenteraient mieux la communauté en prenant en compte ce qu'elle peut dire à l'occasion, en cessant enfin d'être enfermés dans leur tour d'ivoire » (Suprememangaka). Enfin, ce mois-ci, le rejet de la proposition d'arbitrage de Argos42 contre Moez déchaîne de nouveau les passions : le conflit s'exportant sur le bistro, sur twitter et sur la blogosphère (ce présent billet en offre l'illustration, de même que les considérations, assez divergentes, de Popo ou de Pierrot) — « vous êtes en train de détruire le CAr » (toujours Suprememangaka mais sur Twitter).

Ces offensives répétées servent-elles à quelque chose ? Ne représentent-elles qu'une perte de temps — administrateurs, arbitres et contributeurs ayant mieux faire tel que administrer, arbitrer et contribuer ? Je ne le pense pas. A vrai dire, si le CAr n'avait pas les anti-CAr, il devrait les inventer. La présence persistante d'une opposition résolue permet en effet de révéler et de résoudre les déficiences et imperfections organisationnelles avant qu'elles n'affectent structurellement le comité. En fin de compte, le débat d'avril sur les témoignages s'est avérée utile : en formalisant le pouvoir modérateur des arbitres, on s'est évité toute une série de psychodrames.

Ceci dit, revenons au cas qui nous intéresse : qu'est-ce qui cloche dans cet arbitrage Argos42-Moez ? qu'est-ce qui fait polémique ? Au premier abord, l'analyse de Celette sur le bistro d'hier n'est pas totalement injustifiée :

Pourquoi administrateurs et CAr se renvoient la balle lors des "bavures" commises par l'un d'entre eux ?

Je ne souscrit évidemment pas aux sous-entendus que colporte ce commises par l'un d'entre eux (arbitre=admins=pourris=cocos). Par contre, le constat du renvoi incessant n'est pas absurde. J'y ai moi-même songé. Mon premier avis de recevabilité indiquait que « A ce stade, je ne pense pas que toutes les possibilités de médiation aient été épuisées ». Dans l'absolu, il est toujours valable : le possible abus d'outil à l'origine du conflit Argos42-Moez est tout récent (la clôture par laquelle le scandale est arrivé est survenue le 23 juillet). Un précédent assez opportunément convoqué ne prouve pas une dégradation durable des relations entre les utilisateurs. Nous sommes très éloigné d'un cas comme Piston, Wart Dark-Addacat où une mésentente profonde entre certains gros contributeurs menace directement un certain nombre d'article sensibles. Jusqu'à nouvel ordre, rien ne permet d'affirmer que nous avons atteint le point de non-retour.

Par contre, là où le bât blesse, c'est qu'il n'existe actuellement aucune instance véritablement compétente pour gérer ce conflit significatif quoique « secondaire » par rapport à la moyenne des arbitrages jugés recevables par le Comité. Les possibilités de médiation auxquelles je fais appel sont insuffisamment avérées dans ce cas précis. Moez n'a mis au point aucune page de contestation de son statut d'administrateur. Les autres instances médiatrices (le Salon de médiation et la page Administrateur/Problème) ne fonctionnent pas très bien. Elles ne sont pas organisées : n'importe quel utilisateur peut s'improviser médiateur, n'importe quel administrateur peut gérer les réclamations. Faute d'organisation, elles ne disposent d'aucune légitimité et d'aucun pouvoir contraignant. Elles viennent juste arrondir les angles.

Ce constat m'a amené à modifier mon avis en conséquence. J'ai retiré toute mention possible d'une médiation intermédiaire pour promouvoir au contraire la perspective d'une seconde demande d'arbitrage, mieux préparée que la première, rédigée dans le feu de l'action, sans beaucoup de recul sur la durabilité du conflit ou l'ampleur de l'abus :

S'il s'agit d'un arbitrage communautaire visant à sanctionner un administrateur, l'argumentaire présenté est assez faible (un abus qui ne fait pas l'unanimité sur RA, et une querelle vieille de sept mois) et il serait sans doute nécessaire d'y associer d'autres utilisateurs s'estimant lésés par Moez.

Deep Silence a eu, sur le bistro, un mot tout-à-fait juste pour désigner ce à quoi nous sommes confrontés : il y a un « trou », un espace manquant, laissé libre, pour résoudre les conflits naissants et les abus potentiels. Dans l'absolu le Comité fonctionne bien. Il fonctionne même trop bien : au cours de ces deux derniers mois, onze demandes d'arbitrages ont été déposées, et huit ont été ou sont sur le point d'être rejetées. Il y a manifestement un problème qui ne vient pas du CAr, mais hors de lui. Lourd mais efficace, son fonctionnement ne peut que prendre en compte les plus gros conflits — je dirais, plus poétiquement, les « derniers » conflits, ceux qui ont atteint un stade terminal et menacent d'affecter durablement l'espace encyclopédique. Tout le reste doit nécessairement passer à la trappe. Or, ce reste n'est pas négligeable.

Plutôt que passer mon temps à le déplorer sur Twitter ou à en déléguer la responsabilité à je-ne-sais-quel chef d'orchestre occulte, je dois avouer que je suis tenté de combler ce « trou ». Cette tentation n'est pas récente. j'en faisais déjà état dans ma candidature au Comité d'arbitrage, déposée en février dernier :

Il est simplement dommageable que le CAr ainsi conforté ne puisse s'appuyer sur un échelon intermédiaire institué. Le salon de médiation marque en fin de compte une certaine régression par rapport aux Wikipompiers. Le fonctionnement de cette structure défunte était à maints égards défectueux (pas de concertation avec les administrateurs, folklore daté…) mais elle garantissait à tout le moins un suivi continu et gradué des conflits. Or on manque actuellement de visibilité en la matière.

Depuis février, j'ai n'ai pas eu beaucoup de temps pour y réfléchir (cette damnée irl qui me poursuit). Je me suis tout de même efforcé de mettre au point deux propositions complémentaires, qui valent ce qu'elles valent, mais permettront peut-être d'alimenter utilement le débat autour du trou.

Premièrement, je préconiserais la mise au point un comité de contrôle des administrateurs (appelons-le CCA). Ce comité pourrait être élu sur le modèle du CAr. Il peut comporter des administrateurs à condition que que ceux-ci acceptent un désysopage tant que durera leur mandat. Dans l'absolu il serait préférable de faire appel à de simples péons afin de refouler tout soupçon d'une collusion entre juges et parties.

Concrètement, le CCA remplirait le rôle de la page Administrateur/problème en traitant les plaintes déposées à l'encontre de tel ou tel administrateur. Il pourrait, si besoin est, demander à l'administrateur concerné de venir confirmer son statut auprès de la communauté. De la sorte, les pages de contestations personnelles, aux critères souvent inatteignables, perdent de leur portée. Elles ne sont plus, pour l'administrateur, une épée de Damoclès, et pour le plaintif, un itinéraire kafkaïen. Le chemin qui mène à la contestation est direct. Il va sans dire que les cas les plus graves, ceux qui semblent nécessiter un désysopage sans consultation communautaire ou un blocage de longue durée, nécessiteraient le transfert du dossier au CAr, qui n'aurait à tout le moins plus à se soucier de sa recevabilité. Etant donné que les fonctions du CCA sont plutôt limitées (il considère le plus souvent une plainte unique et non un conflit prolongé) et que les accusations d'abus ne sont pas si fréquentes (quelques unes tout au plus au cours de ce dernier semestre) il ne requerrait qu'une équipe restreinte de quatre à cinq membres.

Voici une modélisation - un peu ironique mais pas tant que ça en fait - de ce que pourrait donner le dépôt d'une plainte d'Argos42 contre Moez dans un tel comité de contrôle.


Deuxièmement, il importerait de constituer un corps de médiateurs, chargé de résoudre les conflits éditoriaux intermédiaires. Une liste de Médiateurs expérimentés avait été mis au point en 2009, mais elle demeure dans un état d'ébauche à tout point-de-vue désespérant. Dans un premier temps, l'on pourrait tout d'abord répertorier l'ensemble des arbitres passés et présents encore actifs (sauf cas exceptionnel, leur statut garantit des compétences médiatrices avancées). A ceci s'ajouterait un nombre plus ou moins grand de contributeur recrutés sur la base du volontariat (par exemple Noisetier, Hatonjan ou Thémistocle qui traînent assez souvent sur cette page). Le CAr serait chargé d'évaluer le travail de ces médiateurs et pourrait en exclure certains si ils ne donnent pas satisfaction. Les médiations ratées lui seraient également directement communiqué (ce qui s'est passé par exemple pour l'arbitrage Claude Piard-Bapti), ce qui garantit un filtrage en amont : les conflits secondaires n'auraient pas à subir une phase de recevabilité, inversement certains conflits graves passés inaperçus recevraient rapidement un traitement approprié. La première entrée de ce corps de médiateur pourrait avoir l'apparence suivante (vu que mon pseudo commence par Al, il y a des chances que je me retrouve en tête de liste alphabétique) :


Bon, voilà, yapluka. Même si ce petit billet n'aboutit à rien, il m'aura au moins clarifié l'esprit. C'est déjà quelque chose…

[J'ai réactualisé le message près de 24 h après sa publication, à la fois pour intégrer les deux modélisations et certaines suggestions que quelques utilisateurs ont bien voulu me communiquer par mail]

jeudi 21 juillet 2011

Du primaire au secondaire

Après trois jours d'une retraite abbatiale et trois autres jours non moins abbatiaux consacrés à l'écriture d'épais comptes rendus de concert, me voici de retour sur mon blog. Je suis un peu surpris de découvrir qu'il a très bien su vivre sans moi — pas un seul billet en six jours, et la fréquentation se maintient comme si j'écrivais comme un forcené. Le sympathique billet que m'a consacré mon collège Popo n'y est sans doute pas pour rien — de même que ma propension à avaler sans coup férir les bourdes d'Alithia. N'empêche, ça fait quand même tout drôle de penser que mon blog n'a pas besoin de moi. Autant dire, que cette situation ne va pas durer longtemps — ma créature va rapidement comprendre qui est le maître ici. Pour faire bonne mesure, je me lance dans la rédaction de ce présent billet, consacré à un sujet folichon entre tous : la question des sources primaires et des sources secondaires.

En avril dernier, je me suis mis en tête d'écrire un brévissime article labélisable — mais bon, rassurez-vous, j'ai des choses un peu plus ambitieuses dans mes cartons. Mon choix est tombé sur un certain Euphante, philosophe grec affilié à l'école mégarique, dont le legs intellectuel n'a malheureusement pas trop bien supporté les outrages du temps. Comme le résume remarquablement bien mon article — et hop un peu d'autopromo — il n'existe que six mentions du nom du bonhomme dans l'ensemble de la littérature antique. Voilà qui n'offre pas tellement de matière à délayer. Histoire de rembourrer un peu l'article, je m'étends sur la destruction de sa cité natale, Olynthe.

En trois jours, j'amène l'article de l'inexistant à quelques 8000 octets. Assez confiant en l'exhaustivité de mon grand œuvre, je mentionne sur Hellenopedia mon intention de le labéliser. Là où je charrie un peu c'est que je prétends à l'Article de Qualité, alors que les us et coutumes de wiki prescrivent généralement plutôt le bon article pour ce type de production (j'ai d'ailleurs suivi par deux reprises cette règle non écrite : ici et ). J'avais en fait deux motivations plus ou moins avouables derrière la tête.

Commençons par l'avouable : je souhaitais mettre au point un thème de qualité autour des mégariques, école philosophique grecque qui fait toujours figure de parent pauvre face à certaines mafias plus organisées : l'académie, le lycée, le jardin, le portique… L'inavouable consiste à donner un grand coup de hâche dans un sac de nœud jamais totalement dénoué : un article court mais exhaustif peut-il devenir un article de qualité ? Ceux qui me suivent sur Twitter auront peut-être remarqué l'intéressant échange que j'ai pu avoir avec Weneldur (alias Ælfgar, alias Meneldur) et Fabrice Ferrer à ce propos…

Parce qu'elle prétend à l'Article de Qualité, ma proposition retient l'attention des satrapes de Hellénopédia. Huesca s'interroge sur la longueur de l'article — je m'y attendais, d'où le délayage sur Olynthe — et pose plusieurs judicieuses remarques de forme. Ensuite, Bibi Saint-Pol débarque et me pose un os que je n'avais absolument pas prévu. Citons-le in extenso :

Une remarque formelle : je suis plutôt choqué par les références « Diogène Laërce 1999 ». En effet Diogène Laërce est un auteur antique et les références devraient s'y faire sur les passages plutôt que sur les numéros de page d'une édition particulière (surtout une édition Livre de Poche qui ne fait pas spécialement autorité)

La question de la légitimité du « livre de poche » est vite résolue : contrairement aux apparences, il s'agit de la seule édition scientifique française accessible au grand public (ie pas la recension universitaire de type belle lettre, destinée aux universités et à une poignée d'hellénistes chevronnés). Le vrai souci réside dans la distinction qui est opérée entre références antiques et références modernes : les premières sont présentées sur un modèle de subdisivision en livres, chapitres et paragraphes fixé à la Renaissance (par exemple, dans Euphante ou trouve « Diodore de Sicile, XVI, 53, 2-3) ; les secondes suivent le même régime que la plupart des références sur wiki (modèle harvsp etc.)… Cette séparation m'intrigue. Jusqu'ici, tous les articles de qualité hellènes mêlent allègrement l'ancien et le moderne. En témoigne cette illustration prélevée sur un excellent article de qualité de Huesca, dont je vous conseille vivement la lecture, les Mines du Laurion :


Or, si les références antiques et modernes ne partagent pas la même apparence formelle, elles ne remplissent pas non plus les mêmes fonctions. Les premières constituent des sources primaires, soit des documents d'époque. Le secondes relèvent des sources secondaires, soit d'un travail scientifique, validé par la communauté universitaire, sur ces documents d'époque. Comme le signale la page d'aide prévu à cet effet, les sources primaires ne peuvent être utilisées que dans le cadre d'une recension factuelle non polémique. Etant donnée la distanciation temporelle ou contextuelle qui nous nous sépare de ce document de première main, son utilisation directe peut venir soutenir les interprétations les plus diverses et faire dévier le texte encyclopédique vers le travail inédit.

Pour autant, je ne pense pas qu'il faille rayer les sources primaires de Wikipédia. Leur degré de vérifiabilité est faible : ils ne peuvent que partiellement légitimer un énoncé encyclopédique. Par contre, elles possèdent si j'ose dire, un fort degré d'accessibilité : là où les sources secondaires sont souvent cantonnées aux entrepôts universitaires (je vois mal le lecteur se colleter avec les livres et articles de Robert Muller ou de Klaus Döring, aussi bien faits soient-ils), les sources primaires font souvent partie de la bibliothèque de l'honnête homme (il n'est pas besoin de chercher très loin dans son entourage pour dénicher un Hérodote ou un Diogène Laërce). Elles participent de l'échange et de la connivence entre l'auteur de l'article et le lecteur (qui, par la grâce du système wiki, peut à son tour devenir auteur). Elles indiquent les racines textuelles à partir duquel l'article s'est développée, son archéologie. A l'origine d'Euphante, on trouve six énoncés antiques, plus ou moins longs, qui superposés par des analyses universitaires, s'éclairent mutuellement et permettent de reconstituer partiellement le parcours d'une personne et d'en perpétuer malgré tout la postérité.

Bref, ne pas mentionner les sources primaires me semble, à tout prendre, presque aussi grave que de ne mentionner qu'elle : on prive le lecteur du point d'entrée, du terrain de départ à partir duquel le savoir encyclopédique a pu s'établir. Ce n'est pas pour autant qu'il faut les mêler aux sources secondaires. Une différenciation de fonction implique nécessaire une différenciation de situation.

C'est la raison pour laquelle j'ai opéré au sein d'Euphante une subdivision « références antiques » / « références modernes » — subdivision qui a été saluée par Bibi Saint-Pol : « C'est effectivement plus clair ». La réalisation technique de cette dernière n'est cependant pas parfaite. Réutilisant le modèle ref-name, j'ai mis au point un système A (pour antique) + n qui n'est pas trop lisible - soit dit en passant les références modernes gardent le système courant. L'espace insécable entre le A et le numéro engendre de curieux effets formels. Dans l'extrait visuel ci-contre, on a l'impression que je fait appel, en abrégé, aux références A5, A7 et A8.


Ce serait pas mal si les développeurs pouvaient nous concocter un système de note complètement alternatif, afin de bien distinguer dans le texte le secondaire du primaire. Juste pour initier la réflexion, je me permets de proposer deux modélisations. La premières, un peu trop académique mais bien en phase avec les articles hellènes, gros consommateurs de sources primaires, ferait appel aux lettres de l'alphabet grec (après oméga, l'on repartirait avec alpha flanqué d'un prime). On aurait ainsi :


La seconde, plus généraliste, consiste tout bêtement, à entourer les numéros de note d'un cercle :


Some thoughts ?

jeudi 14 juillet 2011

Easy come, uneasy go

Le hasard veut que Alithia suspend son blog, l'Observatoire de Wikipédia, au moment-même où j'ouvre le mien. Ce parallélisme est encore plus prononcé, si l'on songe que l'Observatoire a été fondé fin 2006, soit au moment-même où je rejoignais Wikipédia. Cette double coïncidence m'incite à dresser le bilan de l'une des principales voix critiques anti-wiki du web français.

L'Observatoire apparaît encore maintenant à la quinzième place du classement google.fr lorsque l'on saisit la requête « Wikipédia ». Par comparaison, le Wikigrill de Books, lancé avec autrement plus de moyen, fait parent pauvre en terme d'audience. Indépendamment de tout présupposé anti-anti-wikipédia, l'on ne peut que reconnaître à l'entreprise un certain succès et une certaine ampleur. On ne saurait disqualifier ce bon millier de billets étalé sur quatre ans et demi d'un revers de main. Analysons-les patiemment, en les saisissant à la racine…

Tout commence, donc, en novembre 2006. Son auteure, qui signe sous le pseudonyme d'Alithia, se présente comme une professeure de philosophie inquiète des dérives de l'encyclopédie en ligne et de ses méfaits supposés auprès de la jeunesse française. Plusieurs recoupements, non confirmés, laisseraient à entendre qu'il s'agirait d'un utilisateur « à problème », bloqué indéfiniment depuis la mi-2007.

Après quelques billets un peu faciles, sans doute destinés à se faire la main, Alithia se lance le 15 novembre dans la rédaction d'un épais manifeste, destiné à définir les objectifs et la politique éditoriale du blog.


L'argumentaire rappelle apparemment, sur un mode simpliste, les thèses de l'école de Francfort : dénonciation de la culture populaire marchandisée et défense, a contrario, de la culture élitiste. Cette dialectique du vulgaire et du savant qui fonctionne remarquablement bien chez Adorno, ne donne ici naissance qu'à un magma assez informe et irrésolu. Alithia draine des idées de part et d'autres sans parvenir à leur conférer une quelconque consistance. Sa profession de foi débute sur un mode vieux-réac-râleur :

Que donnons-nous à lire à nos enfants sur le net où est aujourd'hui omniprésente wikipedia, puisque toujours classée dans les 1° pages Google […] Est-il possible à ces conditions, de concevoir une encyclopédie à partir du modèle de la simple addition, et + particulièrement, de l'addition d'opinions disparates ? Cela a-t-il seulement un sens ? L'addition des ignorants sans aucune contrainte de rédaction, sans obligation de décliner ses qualités ni faire preuve de compétence, sans obligation de devoir respecter les critères de scientificité et de diffusion du savoir, serait-elle donc, -on se demande par quel effet de magie- susceptible de produire un ensemble relevant du savoir ?

C'est, très intentionnellement, que j'ai disposé le nos enfants en gras. On sent ici poindre de vieilles lunes sur la corruption de la jeunesse, sur l'anarchie de la science moderne et sur la démocratie comme règne des ignorants.


Pressentant que ce type de déplorations passéistes n'allaient pas lui attirer les foules, Alithia amorce le grand écart. De la dénonciation de l'anarchie, elle passe à la dénonciation de la dictature ultra-libérale.

Au sein de tout cela, un nouveau pouvoir dictatorial qui plane, sur la culture et la met en danger, celui des petits bureaucrates (sic : c'est ainsi qu'ils se nomment) bureaucrates de wikipedia ou autres patrouilles de surveillance visant à éliminer les désaccords pour produire du consensus ou lisser les sujets

Ce gloubi-boulga assez curieux attire peu l'attention de la communauté wikipédienne. Le bistro mentionne pour la première fois le nom d'Alithia le 9 décembre. Et encore, suite à la déposition d'un message anonyme qui peut très bien avoir été écrit par Alithia elle-même. L'Observatoire échoue d'office à incarner une fonction de contre-pouvoir : faute de s'appuyer sur une déontologie suffisamment rigoureuse (l'orthographe et la syntaxe des premiers billets d'Alithia est pour le moins surprenante, surtout venant d'une supposée professeure de philosophie), il ne parvient pas à peser sur les débats internes de l'encyclopédie. L'optique d'Alithia n'est pas tant critique que manichéenne. Elle n'opère pas une « sélection » (qui est le sens originaire de la Kritein grecques : discriminer, choisir), elle mène un combat systématique. Tout ce que fait Wikipédia est forcément mauvais. Ce qu'il y a de gauche en elle (la libre contribution de chacun) relève d'un anarchisme ultra-libéral. Ce qu'il y a de droite en elle (l'organisation administrative) relève de la dictature totalitaire. Laissée libre, la fonction de contre-pouvoir est assumée par… des wikipédiens — je ne peux que renvoyer ici à la chronique de mon collègue Pierrot, censeur on ne peut plus sérieux des mœurs et des dérives wikipédiennes.

Si elle ne convainc pas les wikipédiens, la logorrhée Alithienne séduit néanmoins un large public. L'éventail des positions défendues est large : cela court de la subversion du trotskysme alter-mondialiste à la frilosité conservatrice des néo-réacs. Je ne peux pas d'ailleurs m'empêcher de me demander si Alithia croit vraiment tout ce qu'elle raconte, si ses postures ne relèvent pas d'un certain opportunisme. L'un de mes professeurs, le chercheur en communication Yves Jeanneret, remarquait que les plupart des discours publics se résument à quelques énoncés extrêmement « triviaux », qui, de par leur simplicité-même, circulent avec une grande aisance au sein de la société :

Notre culture repose sur toute une histoire enfouie de formes construites d’expression et de communication destinées principalement, non à produire des savoirs neufs (ce qu’elles font aussi, inévitablement), mais à rendre partageables, transformables les savoirs existants les plus divers.

L'antienne sur la « décadence de la jeunesse » constitue l'archétype d'une trivialité. On peut la retrouver dans la bouche de n'importe quel politicien ou figure médiatique. Elle peut habiller n'importe quel discours idéologique, venir conforter n'importe quel préjugé. Alithia joue de cette ambiguïté. Elle n'hésite pas à promouvoir des « critiques de droite » de wikipédia lorsque l'occasion se présente. Les commentaires du blog témoignent de l'habilité de cette politique d'incertitudes : les 107 commentaires du manifeste inaugural présentent autant de positions que d'auteur. Résultat des courses, le blog d'Alithia bénéficie d'une audience apparemment large, bien que jamais précisée. Un blog anti-Alithia estime assez favorablement son importance :

Je pense qu'elle a beaucoup de lecteurs, car mon blog sans intérêt et non mis à jour attire pas moins de 30 visiteurs uniques / Jour.

Il convient de faire également remarquer que l'Observatoire a longtemps figuré dans les dix premiers résultats de la requête Wikipédia, avant d'être délogé par des projets frères de wikipédia, tels que le Wiktionnaire. Tous ces recoupements permettent d'évaluer son audience de quelques dizaines à quelques centaines de milliers de visiteurs mensuels.

A cette trivialité initiale, s'ajoute une personnalisation progressive des critiques. Plutôt que d'analyser le système wiki dans son ensemble, Alithia en vient à se trouver quelques boucs émissaires, des utilisateurs bien en vus qui sont censés personnifier les tares de l'encyclopédie en ligne. Elle rédige ainsi de supposés « rencontres » avec Pabix ou David Monniaux, alors même que ceux-ci n'ont jamais voulu la rencontrer. Ou s'efforce de discréditer Anthere en alignant quelques saillies prétendument ironiques… Tout est fait pour simplifier le regard analytique, faciliter la compréhension du lecteur de base, jusqu'à ne plus ressasser que quelques leitmotivs simplistes. Comme le souligne Ruth Amossy,

Quand ils apparaissent dans le discours, c’est au destinataire de les reconstruire en les rapportant aux modèles culturels dont il est imprégné. Les stéréotypes sont en effet des « pictures in our head » (Lippmann), des images toutes faites qui circulent dans une société donnée et médiatisent notre rapport au réel.

Prenant conscience la force de frappe de son blog, Alithia tend à l'instrumentaliser. Avec le temps, Wikipédia devient un simple argument marketing, un moyen de « vendre » des considérations diverses et variées sur l'actualité politique française et internationale. Pour le plaisir du geste, je me suis livré au petit calcul suivant : sur les 50 derniers billets du blogs, 7 parlent spécifiquement de wikipédia, 8 parlent de wikipédia en lien avec l'actualité et… 35 n'en parlent pas ou presque pas. Pourtant, la matière ne manque pas. La Wikipédia francophone a été marquée par de vifs débats au cours de ce premier semestre. Rien de tout cela ne filtre sur l'Observatoire, qui se désintéresse apparemment du fonctionnement interne de l'encyclopédie. Seul l'intéresse les effets de surface : ce qui est effectivement marqué dans tel article, les positions idéologiques que défendraient effectivement tel ou tel contributeur. L'observatoire vire au réceptacle de billets d'humeurs, inconséquents, ni nuisibles ni favorables à l'encyclopédie.


Aussi l'Observatoire se finit comme il a commencé, sur un mode trivial et badin. La conclusion suivante aurait pu être énoncée dès novembre 2006 :

Celle-ci ne peut être qualifiée d'encyclopédie du savoir contemporain, ce qu'est en principe une encyclopédie. Elle n'est que le reflet de la société avec ses tares et ses défauts, ses illusions, ses croyances. Elle est marquée par une forte tendance populiste du fait de son parti-pris anti intellectuel qui permet à ses participants de se rehausser eux-mêmes, ainsi que par une incapacité de discrimination au nom de l'a priori erroné que toutes les opinions se valent et ont toutes leur place dans wikipedia, -ce qui de fait, revient à donner une prime à ce qui n'a pas sa place dans une encyclopédie : extrémismes politiques, fondamentalismes religieux, parti-pris et théories irrationnelles et toutes les formes du n'importe quoi qu'elle accueille.

En quatre ans et demi, Alithia n'a pas bougé. Elle n'a fait que conforter ce qu'elle savait par avance. Elle n'a absolument pas suivi les évolutions considérables qu'a amorcées, pour le meilleur et pour le pire, Wikipédia sur la même période. Tel quel, son Observatoire laisse poindre un certain sentiment de frustration voire de gâchis.

mardi 12 juillet 2011

Le mot hors la chose

Dans le fil de mon précédent post sur les prénoms, je me permets de ressortir ici une de mes vieilles interrogations. Elle concerne un corpus d'article stratégique : les grandes notions. C'est-à-dire tous ces entrées génériques des relations et du savoir humain : science, politique, philosophie, bonheur, amour, art, réalité… On pourrait penser que l'extrême généralité de ces sujets favorise leur développement encyclopédique : aussi bien l'importante audience de ces articles que leur rôle central dans l'architecture des connaissances humaine inciterait la communauté à les soigner aux petits oignons. Il n'en est rien. Paradoxalement, la plupart voire la totalité de ces articles sont des ébauches ou des "bons débuts" qui ne font pas vraiment honneur à Wikipédia. A quoi est-ce dû ?

Assez logiquement, l'on pourrait incriminer l'ampleur-même de ces grandes notions. Il n'est pas évident de rendre compte de l'ensemble des aspects de la science ou de l'amour. Il est encore moins évident de les synthétiser. Les diverses tentatives menées jusqu'ici pour développer ses grandes notions se sont ainsi généralement soldées par des résultats mitigés. Revenons brièvement sur la plus importante.

En 2009, l'équipe n°12 du wikiconcours de mars prévoit d'améliorer cinq "grands thèmes" : l'art, la justice, la religion, l'histoire et la science. Elle comporte plusieurs sommités éminentes : Christophe Dioux, Pseudomoi, Prosopee et, last but not the least, la présidente de Wikimédia France, Serein. Je me joins en électron libre à cette équipe de choc (en particulier sur l'article histoire). L'affaire démarre sur des chapeaux de roues, animée qu'elle est par un certain sentiment d'urgence. L'équipe présente ainsi son travail : « Articles "point d'entrée", essentiels dans toute encyclopédie, en nécessité urgente d'améliorations dans Wikipédia. »


Résultat des courses : Histoire et Justice restent à l'avancement "bon début", Art et Religion passent à l'avancement "bon", Science est proposé pour devenir "bon article". En apparence un certain succès, qui finit toutefois par se tasser. La proposition de l'article Science tourne court. D'abord enthousiastes, les avis s'interrogent bientôt sur les nombreuses impasses et raccourcis. La proposition est finalement rejetée, même si les principaux contributeurs n'y voient qu'une partie de remise : un bon article version 1.2 devrait bientôt émerger dans les mois qui suivent. Ces espérances se sont révélées vaines. Deux ans plus tard, l'article science n'a pas fondamentalement bougé. Assez problématiquement, de nombreuses interrogations demeurent quant au plan et à l'introduction de l'article. Rien n'est fixé. Les mêmes incertitudes se retrouvent, amplifiées, dans les quatre autres grands thèmes : histoire et justice restent bordéliques, art et religion sont à peine mieux lotis.

Bref, même lorsque les wikipédiens mettent le paquet, on a l'impression que les grandes notions résistent. Elles ne se laissent pas apprivoiser. Toute l'activité déployée pour les cerner et leur assigner une place ou une fondation définie finit généralement par s'étioler. J'ai tout particulièrement ressenti ce sentiment d'incomplétude lorsque je me suis mis en tête de rénover l'article politique. En avril 2009, parallèlement aux travaux de l'équipe n°12, je me suis efforcé de mettre au point un plan cohérent pour cet article très exposé. J'opte en fin de compte pour un découpage sémantique recoupant les trois principales acceptions du terme politique : une forme d'organisation de la vie humaine (le politique), une réflexion autour de cette forme d'organisation (la philosophie politique), une action déployée au sein de cette forme d'organisation (une politique, soit ce que les anglais rendent par policy). A l'intérieur de ces trois parties, je développe une approche historique et chronologique.


Que reste-t-il de ces bonnes volontés initiales ? Pas grand chose. La première partie semble s'appuyer sur un terrain relativement solide (la mise en place des institutions politiques référentielles en Mésopotamie puis en Grec) sans que son exposé ne parvienne à dépasser l'antiquité. Les deux suivantes ne sont que des ébauches bordéliques, parsemées de quelques considérations intéressantes, pas tout-à-fait à leur place ici. Cet inachèvement incite Bruno des Acacias à remettre en cause en février dernier l'optique initialement adoptée. Prenant acte de l'extrême généralité de l'article, il privilégie un tronçonnage en trois sous-articles, chacun correspondant à l'une des parties de mon plan. Je ne suis pas opposé à cette réorganisation, même si j'en discute les modalités. En fin de compte, Bruno laisse apparemment tomber toute l'affaire. Mes remarques n'ont jamais reçu de réponse de sa part.

Jusqu'à nouvel ordre, la politique reste donc dans un état médiocre, presque frustrant. Que faudrait-il faire pour redresser la barre ? Après deux ans de tergiversations, je pense avoir identifié une petite porte de sortie. Elle passe par une prise de conscience accru du caractère « sémantique » de cette notion. La politique, la science, l'amour, la justice ne désignent pas vraiment des objets en soi, mais des projections conceptuelles relativement mouvante. La notion française de politique ne renvoie pas exactement à la même chose que la notion anglaise de politics — la première inclut en effet un concept exclu dans la seconde, celui de policy. A partir d'un certain degré de généralité, l'on est tenu de « lexicaliser » le sujet encyclopédique. C'est ce que je me suis résolu de faire sur l'article réalité : plutôt que de dire « la réalité est X », je me suis efforcé de retracer la généalogie du terme, ses recompositions et ses amendements, sans prétendre l'ériger en immanence.

Cette décorrélation du mot et de la chose nous ramène à un point sensible, déjà abordé dans mon post sur les prénoms : où se situent les frontières entre Wikipédia et le Wiktionnaire ? devrons-nous à terme transférer les articles, nécessairement lexicaux, consacrés aux grandes notions sur le dictionnaire collaboratif ? ou faudra-t-il repenser les bornes de l'analyse encyclopédique, pour y inclure également celle de la conceptualité des objet analysés ? La question reste ouverte et ne pourra, à mon sens, que se poser avec plus d'acuité au cours des prochaines années.

dimanche 10 juillet 2011

Un petit mot pour commencer…


Pourquoi est-ce que je m'amuse à lancer un blog à propos de Wikipédia ? Je n'en sais strictement rien. Je n'ai pas vraiment le temps de l'alimenter. J'ai sans doute des milliers de trucs plus utiles à faire (une thèse, entre autres…). Pourtant, sans que je parvienne à l'expliciter, ça me paraît actuellement l'initiative la plus naturelle du monde. Je dois sans doute avoir atteint le point de non-retour d'un cercle diablement vicieux…

Je suis sur Wikipédia depuis bientôt cinq ans. Très insidieusement, l'encyclopédie en ligne m'a amené à m'impliquer sans cesse plus avant. Je devais initialement être l'auteur d'un seul article (Franz Liszt). De fil en aiguille, j'ai commencé à contribuer dans tous les sens, à déposer mes avis et mes opinions sur tout un tas de machins folklo (PàS, bistro, PDD…). Et voilà qu'en mars dernier je suis élu membre du Comité d'arbitrage, sorte de haute cour de justice de la Wikipédia francophone.

Ça y est. C'est foutu. Je ne pourrais plus imaginer un monde sans Wikipédia. Il ne me reste plus qu'à rendre compte du monde avec Wikipédia. Cet avec sera l'objet de ce blog.