Le 24 juin, un contributeur récemment enregistré lance une procédure de suppression de l'article sous le motif qu'il n'y a « Aucun intérêt encyclopédique ; une liste de prénoms est plus appropriée ». J'interviens pour défendre l'admissibilité de l'article. Le consensus s'oriente alors vers une conservation. Il faut dire que le contributeur proposant inspirait assez peu confiance. Il s'était déjà fait remarqué en multipliant les corrections absconses et les procédure de suppression immotivées. Il est finalement identifié comme le faux-nez d'un multi-récidiviste. En conséquence, la procédure de suppression est invalidée par Matpib.
Toute cette histoire aurait pu s'arrêter là. Toutefois, le 29 juin, Hercule relance la procédure avec des arguments autrement plus sérieux. Il ne nie pas l'admissibilité de l'article, mais s'interroge sur ses perspectives de croissances encyclopédique (la probabilité qu'un universitaire quelconque ait commis un ouvrage de référence sur Božimir est proche du zéro absolu) et sur le risque que l'article ne fasse double-emploi avec un article équivalent, publié sur le Wiktionnaire qui, pour simplifier les choses, présente le prénom comme slovène. L'enjeu de cette interrogation dépasse largement le cadre de la simple procédure de suppression. Elle pourrait avoir des répercussions considérables sur l'ensemble de l'espace encyclopédique. Hercule en est conscient : « Je ne me fait aucun doute qu'il y aurait d'autres articles équivalents à supprimer. Ce n'est pas une raison pour ne pas commencer. »
Un rapide calcul permet d'évaluer à un peu plus de mille le nombre de prénoms figurant dans les diverses catégories prénoms par origine. A peu près un millième des articles de la wikipédia francophone pourrait ainsi potentiellement disparaître. Si elle était menée à son terme cette liquidation impliquerait l'ouverture d'autant de procédures de suppression, ce qui, à moins de les étaler sur plusieurs mois, risque de s'avérer ingérable. Il serait sans doute préférable de passer par une prise de décision, afin de régler collectivement le sort de ces articles.
Sur le principe, mon opinion n'a pas changé depuis deux semaines. Ce qui importe, ce n'est pas la scientificité du sujet encyclopédique (id est son taux de reprise dans des publication académique) que sa pertinence sociale et collective (son impact sur les sociétés humaines). Pour prendre un exemple souvent cité et décrié, les pokémons ont droit de cité sur Wikipédia. Même si les bêbêtes nippones n'ont par vraiment fasciné les chercheurs (en dehors d'un travail collectif un peu inégal, je n'ai pas trouvé grand chose) leur impact sur la culture populaire du premier XXIe siècle est tel, que leur admissibilité relève de l'évidence. Comme les pokémons, les prénoms serbes constituent des objets en attente d'être étudiés — dans le jargon de la recherche, on appelle ça des monstres. Leur inscription effective dans la sphère des échanges et des relations humaines leur confère d'office une portée théorique qui n'attend que d'être actualisée.
Ceci dit, un point beaucoup plus pernicieux reste à démêler : les prénoms sont-ils des mots ou des constructions sociales ? Les deux mon général. Ils renvoient certes à une forme linguistique particulière qui dispose de ses propres règles d'accord (en français on ne peut mettre un pronom au pluriel). Ils désignent également une projection symbolique de certaines structures et interactions préalables. Qu'est-ce qui fait par exemple que Enzo est l'un des prénoms les plus portés dans la France du premier XXIe siècle ? A quoi est-ce dû ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Le champ épistémologique qui s'ouvre ici est immense mais demeure largement inexploré. Dans Le Prénom : un objet durkheimien, Olivier Gall souligne que
Les travaux de Philippe Besnard et de Guy Desplanques montrent cependant que [les choix des prénoms] n'ont rien de purement individuel, qu’agrégés par la statistiques, ils révèlent des régularités, et donc des représentations collectives produites par les actions et réactions entre les les esprits individuels qui forment la société.
Tout ceci m'incite à penser que la présence d'articles sur les prénoms est légitime sur Wikipédia. Le transfert sur Wiktionnaire risque en effet de laisser de côté toute perspective d'analyse de l'incidence sociale d'un prénom donné et de ses effets de mode. Aussi, le doublon me paraît-il préférable au repli linguistique : mieux vaut prendre le risque de se répéter plutôt que de se taire…
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