L'assemblée nationale vient de mettre en ligne les vidéos de la dernière partie de la session sur la « Copie privée ». J'en ai profité pour retranscrire le passage qui intéressait Wikipédia (qui sera également disponible peut-être demain matin sur le site de l'Assemblée) : la discussion de l'amendement n°22 sur la liberté de panorama.
Le rejet final de l'amendement m'a évidemment désappointé. En même temps, à penser que Wikipédia et les enjeux qu'elle incarne ont occupé plus d'une demi-heure de débats parlementaires, je me dis que cette soirée n'a pas été complètement infructueuse. Elle laissera des traces.
Lionel Tardy — Je suis conscient avec cet amendement d’être un peu en dehors de la copie privée, mais pas tant que ça puisqu’il s’agit d’une exception au droit d’auteur. Je profite de ce texte pour proposer une amélioration qui devrait rencontrer l’unanimité devant mes collègues puisqu’il s’agit de renforcer la diffusion et le rayonnement de l’art contemporain en France. Monsieur le ministre, si vous allez sur le balcon de votre bureau et que vous vous faîtes photographier avec les colonnes de Buren en arrière-plan, vous n’avez pas le droit d’utiliser cette photo sans l’autorisation de Daniel Buren puisque son œuvre est protégée par le droit d’auteur. Avouez que c’est quand même absurde et quelque peu ridicule. La question n’est pas anodine car elle bloque la publication de photographies d’œuvres d’art contemporain et de bâtiments d’architecte sur Internet à cause de ce risque de procès pour contrefaçon. Beaucoup d’architectes et d’artistes contemporains sont pénalisés car leur œuvre n’est pas visible sur Internet. Tout cela pour préserver le principe du droit exclusif dont ils ne peuvent pas tirer grand chose voire rien en terme de revenus financiers. Beaucoup de pays européens ont inscrit cette exception de panorama dans leur droit je vous propose de les suivre et de mettre fin à une situation ubuesque qui ne peut que nuire au principe-même du droit d’auteur.
Le président de séance — L’avis de la commission madame la rapporteure
Marie-Hélène Thoraval — Cher collègue, je pense que vous exagérez un tout petit peu dans vos propos. Permettez-moi de vous rappeler que certaines dispositions actuelles permettent déjà de satisfaire en partie votre amendement. Depuis la loi du 1er août 2006 sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information, s’agissant de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, il permet de disposer de la reproduction d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne dans un but exclusif d’information immédiate et ceci est autorisé. En outre, la jurisprudence a permis de faire émerger ce qu’on appelle la théorie de l’accessoire, à savoir la représentation d’une œuvre située dans un lieu public qui est accessoire au sujet traité et échappe à la qualification de contrefaçon pourvu qu’elle soit fugitive. Donc, j’émettrai un avis défavorable.
Frédéric Mitterrand — Il me semble que votre attention méticuleuse, monsieur le député Tardy, a tous les aspects du travail juridique qui se fait dans cette assemblée. Cette attention méticuleuse, dont on ne peut que se féliciter, qui enrichit les débats devient quelque fois vétilleuse. C’est-à-dire un peu trop méticuleuse et un peu excessive. Et, je pense que, l’avis défavorable rendu par madame la rapporteure est tout-à-fait justifié. Je rappelle que la liberté de photographier certaines œuvres que vous appelez de vos vœux est d’ores et déjà acquise en droit français et je penche franchement que, là, vous allez un petit peu loin. Donc, avis défavorable.
Patrick Bloche — Je tiens à expliquer pourquoi nous ne voterons pas cet amendement. Car en l’occurrence, à nouveau, et quitte à me répéter, ce n’est pas parce que nous avons un problème urgent à régler avant le 22 décembre que nous allons créer comme ça, ex nihilo, de nouvelles exceptions au droit d’auteur. Ce n’est pas qu’il faut que la main tremble quand on se saisit de questions de propriété intellectuelle, de questions de propriété littéraire ou artistique. Mais voilà, on ne crée pas comme ça, à 23h30 passé, une exception au droit d’auteur, sans qu’on en ait discuté avec les auteurs eux-même et notamment les auteurs des arts visuels que sont les peintres, les sculpteurs, les illustrateurs, les architectes, les designers et les photographes. Donc, en l’occurrence, nous avons été amenés — je pense que Martine Billard était partie prenante, Dionis du Séjour aussi, du débat sur DAVDSI, ainsi que de celui sur HADOPI — à essayer d’élargir la liste des exceptions au droit d’auteur, puisque c’est les marges de manœuvres que permettait la directive dans le droit interne de chaque pays de l’Union Européenne. Mais à ce moment-là il faut que l’intérêt général prédomine. Autant on peut discuter de l’opportunité d’exceptions au droit d’auteur à des fins d’enseignement, de recherche, bref pour des buts d’intérêt général. Mais là on est vraiment sur un intérêt particulier qui est banalement, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, l’intérêt particulier de Wikipédia. C’est l’amendement Wikipédia rebaptisé gentiment liberté de panorama. Je dois d’ailleurs savoir, parce qu’une étude d’impact serait au minimum nécessaire, ce qu’est finalement cette liberté de panorama dans un certain nombre de pays européens qu’on oublie de nous citer. En tout cas, le but d’information est servi par l’exception au droit d’auteur créé dans la loi DAVDSI et nous considérons qu’elle satisfait pleinement, elle, à l’intérêt général que doit poursuivre le législateur.
Marcel Rogemont — Moi, je n’ai pas grand chose à rajouter par rapport à Patrick. Juste, quelque mots. Je trouve quand même que la volonté de prendre part et d’accompagner la volonté de commercialisation d’un site me paraît excessif. Et là, je trouve que notre collègue aurait dû être plus attentif dans la défense de cet amendement, car je crois, comme l’a dit Patrick Bloche, qu’avant de légiférer, il faut quand même avoir un minimum d’étude d’impact, ce que nous n’avons pas.
Jean Dionis du Séjour — Je suis surpris de la réticence de nos collègues. Il s’agit uniquement d’autoriser la reproduction d’œuvres situées de manière permanente dans l’espace public. Ça veut dire que des œuvres qui sont situées au vu et au su de tout-le-monde est protégée soixante-dix ans après la mort de l’architecte. C’est complètement exorbitant. C’est complètement archaïque. Qu’est-ce qu’on attend pour aller vers la législation des pays européens ? Je suis surpris de la réaction de Patrick Bloche. En général on partage pas mal d’analyses. Wikipédia c’est pas rien. C’est une percée majeure en terme d’élaboration de savoir en commun de partage de savoir en commun. Alors, si vous voulez l’appeler amendement wikipédien, appelons-le amendement wikipédien. En tout cas, le problème est posé. Pourquoi un certain nombre de pays européens considèrent qu’on a le droit de faire des photos de la pyramide du Louvres et pourquoi pas nous ? On fait preuve d’un archaïsme injustifié. Donc ce n’est pas un petit amendement, c’est un amendement qui est très important sur lequel il faut qu’on s’arrête et qu’on débate car pour le moment je n’ai pas vu beaucoup d’arguments de fond contre celui-ci.
Martine Billard — Je pense qu’on a une difficulté qu’on a eu à d’autres moments dans le débat sur la culture, qui est la question des œuvres photographiques. Je ne me sens pas, à cette heure-ci, sans une étude d’impact, sans la discussion avec tous ceux qui travaillent dans la photo de prendre une décision sans en mesurer les conséquences. Parce que, on le sait, il y a une grande difficulté dans le secteur, il y a une grande destabilisation. Ce ne sont pas des gens qui gagnent de grandes fortunes, les photographes. Le fait que ce ne soit pas plus précis, notamment sur les conséquences en terme de distribution commerciale, me pose un problème. En sachant qu’aujourd’hui il y a déjà des sites de photographes qui mettent à disposition sous licence creative commons. Il y a déjà eu des avancées à ce point-de-vue. Mais moi en tout cas je ne voterai pas. Car je pense qu’on ne fait pas comme ça, sans évaluer les conséquences sur tout un secteur.
Frédéric Mitterrand — Chacune des interventions que nous venons d’entendre est particulièrement intéressante et porteuse de questions essentielles pour un débat de fond sur la copie privée seconde manière. Notamment les questions que madame Billard évoque sur la photographie, domaine sur lequel je crois m’être beaucoup avancé, interpelle tout-à-fait mes réflexions. Mais je rappelle que ce n’est pas vraiment le contexte dans lequel nous sommes ce soir. Il ne s’agit pas de reconstruire la copie privée, alors qu’il est évident que ce serait un débat plus long, plus complexe. Les réflexions des uns et des autres viendront enrichir la construction juridique d’une nouvelle institution très importante dont on espère qu’elle vivra aussi longtemps sous sa seconde mouture que sous sa première mouture. Donc, le fait de vouloir poser, en quelque sorte, d’une manière très superficielle, des questions de fond mais qu’on aborde comme ça en passant, même si on y a beaucoup réfléchi, mais qui ne nous laisse pas le temps d’un véritable débat, de contre-expertises, de contre-travaux. Madame Billard l’a évoqué d’ailleurs en parlant du sort des photographes. Ça me semble tout-à-fait contre-productif. Je me suis engagé très fermement auprès de la commission pour dire que nous engagerions ce débat le plus vite possible. Pour l’instant, nous avons une obligation, c’est de défendre les droits des créateurs pour qu’ils ne soient pas lésés dans leur droit. Je pense qu’il est important de rappeler cet aspect des choses. Et quelque soit les demandes d’intervention que je vois repousser comme les champignons après la pluie, je persiste néanmoins dans cette manière de voir, car je pense qu’il est de toute manière plus juste pour les droits des créateurs sur lesquels nous nous penchons ce soir.
Lionel Tardy — Pour repréciser ce qu’a dit Jean Dionis, à l’heure actuelle en France, les œuvres (monuments, sculptures, peintures murales…) sont protégées par le droit d’auteur et elles le sont même, et c’est là tout l’intérêt de cet amendement, lorsqu’elles sont placées dans la rue. Il est impossible d’en publier des photographies sans autorisations de l’auteur ou de ses ayants-droit. Alors, je vous prends des exemples, puisque personne n’en a cité : publiez sur votre blog une photo de la Géode, du Stade de France, du Musée d’Orsay ou du Centre Pompidou devrait normalement donner lieu à une demande préalable et à un paiement de redevances. Et encore, dans ce cas-là, on a des architectes qui sont connus. Bon courage pour demander l’autorisation aux ayants-droit de celui qui a bâti votre mairie et dont personne ne connaît le nom. Vous voyez un petit peu l’absurdité. Je rappelle que des pays comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Irelande (on a demandé des noms) Israël ou le Pérou ménagent une exception au droit d’auteur pour les bâtiments ou les œuvres d’art qui sont situés dans la rue et c’est donc tout le sens de cet amendement liberté de panorama.
[Le Nouveau centre demande l’organisation d’un scrutin public.]
Jean Dionis du Séjour — L’argument que je retiens de Marcel Rougemont et de Martine Billard c’est de nous dire, et en ce sens ils ont raison, il manque une étude d’impact à cette affaire-là. On peut entendre cet argument. Mais honnêtement, on veut créer un mouvement et une dynamique parlementaire. On a le temps. Il va y avoir deux navettes. L’étude d’impact, le sénat va pouvoir la faire. Nous, on va pouvoir retravailler dessus. Aujourd’hui, est-ce qu’on veut ou non bouger cette législation complètement exorbitante et complètement archaïque ? Voilà la question qui est posée. Et donc, d’ici là, vous aurez l’étude d’impact du sénat, elle reviendra ici. Ça nous appartient en tant qu’assemblée souveraine de dire on remet à niveau du droit européen la France, en demandant la liberté de panorama.
Marie-Hélène Thoraval — Je ne peux pas douter de l’intérêt que vous ayez pour notre patrimoine. Mais, je ne peux pas comprendre que vous puissiez réduire cet intérêt à un amendement à discuter ici à l’assemblée ce soir, sans avoir fait des études antérieures, sans avoir voulu, souhaité, travailler sur des expertises qui permettent d’avoir une objectivité nécessaire, Monsieur Dionis, par rapport à la problématique que vous avez proposé.
Marcel Rogemont — Moi je veux simplement dire à mon collègue que la simple profération de l’archaïsme ne suffit pas pour définir une argumentation. Dans l’amendement qui est proposé, ce qui est tout de même proposé c’est la commercialisation de l’œuvre, à partir de l’œuvre qui est en train d’être permise. Je crois que ça va bien au-delà de simplement dire ceci-cela. Et c’est pourquoi je pense que la simple profération de l’archaïsme ne suffit pas à emporter mon consentement.
Le président de séance — Je vais mettre aux voix l’amendement 22. Le scrutin est ouvert. Le scrutin est clos. Voici les résultats du scrutin. Votants, 30 ; suffrages exprimés, 30 ; majorité absolue, 16 ; pour, 7 ; contre, 23 ; il est rejeté.
3 commentaires:
Eh bé, déçue je suis... Mais faut relativiser : Paris ne s'est pas fait en un jour. Je suis d'accord avec toi, c'est un premier pas important, faut le prendre comme ça.
Musicaline
J'ai des hauts le cœur à chaque fois que je lis trop de langue de bois... je dois faire une allergie :)
Intéressant, merci pour la retranscription. Donc en gros ils bottent en touche parce qu'ils n'avaient aucune idée de quoi on leur parlait.
Eh ben il va falloir leur en parler.
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