À ses débuts, la syntaxe wiki était conçue comme une version grandement simplifiée du langage HTML. En lieu et place des balises, quelques signes de ponctuations élémentaires (apostrophes pour les gras et les italiques, signes d'égalité pour le niveau de titre…). Sauf qu'avec le temps, l'encyclopédie s'est naturellement complexifiée. La gestion des références, la transclusion de modèles, les infobox : tous ces éléments nécessaires à la mise en œuvre d'une encyclopédie de référence nécessitent des artifices techniques de plus en plus élaborés. La syntaxe wiki est devenue une sorte de mélasse un peu brouillonne où se mêlent des éléments de code descriptif avec des morceaux de langage de programmation (par exemple, les {{{if}}} que l'on croise parfois dans tel ou tel modèle un peu élaboré).
J'ai eu la chance de voir toutes ces subtilités se généraliser les unes après les autres : en sept ans, la mémorisation se fait sans peine. Un nouvel arrivant aura sans doute plus de difficultés. L'éditeur visuel est maintenant là pour l'aider… ou pas.
L'outil est devenu une réalité technique, globalement corrigée de la plupart de ses bugs et imperfections (il y a encore des petits soucis intempestifs, mais si les développeurs restent bien au taquet, tout devrait se réguler d'ici la fin de l'année). Malheureusement, cette réalité est bien partie pour demeurer inaccessible à ceux qui en auraient le plus besoin.
La wikipédia germanophone, puis la wikipédia anglophone ont pris l'initiative de retirer l'éditeur visuel de l'interface par défaut. Il est maintenant nécessaire de l'activer dans ses préférences, une option seulement accessible aux contributeurs inscrits (et, même plus largement, aux contributeurs réguliers : les contributeurs occasionnels ont peu de chance d'aller traîner là-dedans). Bref, autant dire que l'outil n'assume plus du tout sa mission primordiale : apporter de nouvelles recrues à la communauté en motivant les profils un peu effrayés par les coulisses techniques.
Côté francophone, les perspectives sont plus heureuses. Un sondage récent montre certes quelques réticences (notamment sur le nom de l'éditeur), mais le principe d'ajouter l'éditeur visuel dans les sections (alors même qu'il n'est pas encore capable de les éditer séparément de l'article) est clairement adopté. Je n'ai pas eu l'occasion de jeter un coup d'œil à leurs débats communautaires, mais les hispanophones et les italophones semblent a priori partis pour conserver le truc.
Tout n'est donc pas perdu. Sous réserve que les développeurs ne se laissent pas décourager par les déconvenues sur la version anglophone (qui ont viré à un énième bras de fer entre la communauté et la Fondation : ça faisait longtemps…), l'éditeur visuel devrait au moins faire ses preuves sur plusieurs communautés de grande taille. Et vérifier ainsi les nombreuses attentes qui se sont portées sur lui.
En ce qui mon concerne, je n'ai aucun doute sur son effet positif sur le long terme. La syntaxe wiki constitue un frein souvent cité à la contribution. Ce n'est pas le seul. Le respect de la vérifiabilité s'avère également contraignant, mais il demeure non-négociable. Tout-le-monde ne deviendra pas encyclopédiste du jour au lendemain, mais l'éditeur visuel a de bonnes chances d'attirer de nouvelles recrues, jusqu'alors réticentes à sauter le pas.
Les chercheurs sont peut-être les premiers concernés. Pour quiconque n'a pas l'habitude des syntaxes web, la maîtrise des bases élémentaires de l'éditeur classique prend au bas-mot quelques heures. Or, présenter son champ d'étude sur un média généraliste a beau être une idée séduisante, cela reste un objectif secondaire, d'ailleurs non pris en compte par les agences de notation telles que l'AERES ou par les universités. Cela ne peut se faire qu'à titre occasionnel — justement ce que permet l'éditeur visuel.
On arrive ainsi à cette situation un peu paradoxale : les communautés qui souffrent le moins d'un déclin de la participation adoptent un outil qui va probablement contribuer à la stimuler ; inversement, les deux communautés qui subissent le reflux le plus sévère (de l'ordre d'un quart d'effectifs en moins dans le cas anglophone comme dans le cas germanophone au cours de ces six dernières années) se refusent à mettre en œuvre une solution qui aurait peut-être permis de colmater les brèches.
Une comparaison évocatrice de {{en}} et {{de}} vs. {{fr}} et {{es}}
Cet épisode aura au moins permis de confirmer un donnée intéressante : la récession d'une communauté provient surtout de facteurs sociaux internes. La prévalence d'une vision un peu élitiste de la contribution wikipédienne contribuerait à alimenter une sorte de spirale excluante, marquée par le double rejet des nouveaux utilisateurs et de la nouveauté technique.