mercredi 27 juillet 2011

CAr ou rien ?

Il est toujours amusant de constater à quel point un blog peut virer de ses intentions initiales. A l'origine, je souhaitais faire une sorte de Wikigrill amélioré : chaque billet serait consacré à un article de Wikipédia et viserait non seulement à en dresser le bilan, mais à l'améliorer. C'était là tout le sens de ce titre : Wikitrekk, un voyage ou trekking qui m'amènerait à tomber sur des trucs plus ou moins bons, que j'améliorerais plus ou moins bien. Jusqu'ici, je n'ai réalisé cet exercice qu'une seule fois. Et quelque chose me dit que je ne suis pas prêt de le réitérer.

Progressivement, mon attention a glissé vers des sujets de plus en plus généraux, et voilà qu'elle s'apprête à embrasser un sujet que je m'étais bien juré de ne jamais aborder : le Comité d'arbitrage. Face à cette institution wikipédienne assez méconnue du grand public, quoique jouant un rôle fondamental dans la régulation de l'encyclopédie collaborative, j'occupe une position problématique : je suis arbitre. En tant que tel, je suis astreint à un certain devoir de réserve. Et puis, surtout, je risque, au sens propre, d'être juge et parti — comment un juge pourrait-il juger son propre statut de juge ? Pourtant, plusieurs vicissitudes récentes me forcent à surmonter cette gêne initiale. Le Comité d'arbitrage est actuellement sous le feu de l'actualité wikipédienne. Si je tiens à écrire un blogdewikipédia (tiens un néologisme…), je ne peux pas ne pas en parler. Commençons doctement…

De même que l'économie connaît ses cycles de Juglar et de Kondratieff, le comité est régulièrement affecté de certaines « crises », dont la récurrence est pour le moins troublante. Tout les deux à quatre mois se rejoue notamment un conflit opposant les anti-CAr (ainsi désignerons-nous, pour plus de commodité un groupe finalement assez restreint de contributeurs souhaitant sa disparition) et le reste de la communauté. La thématique change mais les argumentaires et les protagonistes se renouvellent peu. En mars dernier, une campagne de déstabilisation fut lancé à l'encontre des Élections d'arbitres pour le 13e CAr, en votant systématiquement contre pour chaque candidature — « A mon humble avis, le comité d'arbitrage est une poubelle qui rassemble le pire de ce que wikipédia peut engendrer de plus méprisable » (Jean-Jacques Georges). La manœuvre a dans l'ensemble échoué, même si elle a manqué de peu d'invalider l'élection d'un des candidats. S'ensuit en avril-mai un vibrant débat sur une thématique assez pointue : les arbitres peuvent-ils modérer librement les témoignages ? Restée irrésolue, la question est finalement tranchée sur une PDD, qui donne sans ambiguïté gain de cause au CAr — « Ils représenteraient mieux la communauté en prenant en compte ce qu'elle peut dire à l'occasion, en cessant enfin d'être enfermés dans leur tour d'ivoire » (Suprememangaka). Enfin, ce mois-ci, le rejet de la proposition d'arbitrage de Argos42 contre Moez déchaîne de nouveau les passions : le conflit s'exportant sur le bistro, sur twitter et sur la blogosphère (ce présent billet en offre l'illustration, de même que les considérations, assez divergentes, de Popo ou de Pierrot) — « vous êtes en train de détruire le CAr » (toujours Suprememangaka mais sur Twitter).

Ces offensives répétées servent-elles à quelque chose ? Ne représentent-elles qu'une perte de temps — administrateurs, arbitres et contributeurs ayant mieux faire tel que administrer, arbitrer et contribuer ? Je ne le pense pas. A vrai dire, si le CAr n'avait pas les anti-CAr, il devrait les inventer. La présence persistante d'une opposition résolue permet en effet de révéler et de résoudre les déficiences et imperfections organisationnelles avant qu'elles n'affectent structurellement le comité. En fin de compte, le débat d'avril sur les témoignages s'est avérée utile : en formalisant le pouvoir modérateur des arbitres, on s'est évité toute une série de psychodrames.

Ceci dit, revenons au cas qui nous intéresse : qu'est-ce qui cloche dans cet arbitrage Argos42-Moez ? qu'est-ce qui fait polémique ? Au premier abord, l'analyse de Celette sur le bistro d'hier n'est pas totalement injustifiée :

Pourquoi administrateurs et CAr se renvoient la balle lors des "bavures" commises par l'un d'entre eux ?

Je ne souscrit évidemment pas aux sous-entendus que colporte ce commises par l'un d'entre eux (arbitre=admins=pourris=cocos). Par contre, le constat du renvoi incessant n'est pas absurde. J'y ai moi-même songé. Mon premier avis de recevabilité indiquait que « A ce stade, je ne pense pas que toutes les possibilités de médiation aient été épuisées ». Dans l'absolu, il est toujours valable : le possible abus d'outil à l'origine du conflit Argos42-Moez est tout récent (la clôture par laquelle le scandale est arrivé est survenue le 23 juillet). Un précédent assez opportunément convoqué ne prouve pas une dégradation durable des relations entre les utilisateurs. Nous sommes très éloigné d'un cas comme Piston, Wart Dark-Addacat où une mésentente profonde entre certains gros contributeurs menace directement un certain nombre d'article sensibles. Jusqu'à nouvel ordre, rien ne permet d'affirmer que nous avons atteint le point de non-retour.

Par contre, là où le bât blesse, c'est qu'il n'existe actuellement aucune instance véritablement compétente pour gérer ce conflit significatif quoique « secondaire » par rapport à la moyenne des arbitrages jugés recevables par le Comité. Les possibilités de médiation auxquelles je fais appel sont insuffisamment avérées dans ce cas précis. Moez n'a mis au point aucune page de contestation de son statut d'administrateur. Les autres instances médiatrices (le Salon de médiation et la page Administrateur/Problème) ne fonctionnent pas très bien. Elles ne sont pas organisées : n'importe quel utilisateur peut s'improviser médiateur, n'importe quel administrateur peut gérer les réclamations. Faute d'organisation, elles ne disposent d'aucune légitimité et d'aucun pouvoir contraignant. Elles viennent juste arrondir les angles.

Ce constat m'a amené à modifier mon avis en conséquence. J'ai retiré toute mention possible d'une médiation intermédiaire pour promouvoir au contraire la perspective d'une seconde demande d'arbitrage, mieux préparée que la première, rédigée dans le feu de l'action, sans beaucoup de recul sur la durabilité du conflit ou l'ampleur de l'abus :

S'il s'agit d'un arbitrage communautaire visant à sanctionner un administrateur, l'argumentaire présenté est assez faible (un abus qui ne fait pas l'unanimité sur RA, et une querelle vieille de sept mois) et il serait sans doute nécessaire d'y associer d'autres utilisateurs s'estimant lésés par Moez.

Deep Silence a eu, sur le bistro, un mot tout-à-fait juste pour désigner ce à quoi nous sommes confrontés : il y a un « trou », un espace manquant, laissé libre, pour résoudre les conflits naissants et les abus potentiels. Dans l'absolu le Comité fonctionne bien. Il fonctionne même trop bien : au cours de ces deux derniers mois, onze demandes d'arbitrages ont été déposées, et huit ont été ou sont sur le point d'être rejetées. Il y a manifestement un problème qui ne vient pas du CAr, mais hors de lui. Lourd mais efficace, son fonctionnement ne peut que prendre en compte les plus gros conflits — je dirais, plus poétiquement, les « derniers » conflits, ceux qui ont atteint un stade terminal et menacent d'affecter durablement l'espace encyclopédique. Tout le reste doit nécessairement passer à la trappe. Or, ce reste n'est pas négligeable.

Plutôt que passer mon temps à le déplorer sur Twitter ou à en déléguer la responsabilité à je-ne-sais-quel chef d'orchestre occulte, je dois avouer que je suis tenté de combler ce « trou ». Cette tentation n'est pas récente. j'en faisais déjà état dans ma candidature au Comité d'arbitrage, déposée en février dernier :

Il est simplement dommageable que le CAr ainsi conforté ne puisse s'appuyer sur un échelon intermédiaire institué. Le salon de médiation marque en fin de compte une certaine régression par rapport aux Wikipompiers. Le fonctionnement de cette structure défunte était à maints égards défectueux (pas de concertation avec les administrateurs, folklore daté…) mais elle garantissait à tout le moins un suivi continu et gradué des conflits. Or on manque actuellement de visibilité en la matière.

Depuis février, j'ai n'ai pas eu beaucoup de temps pour y réfléchir (cette damnée irl qui me poursuit). Je me suis tout de même efforcé de mettre au point deux propositions complémentaires, qui valent ce qu'elles valent, mais permettront peut-être d'alimenter utilement le débat autour du trou.

Premièrement, je préconiserais la mise au point un comité de contrôle des administrateurs (appelons-le CCA). Ce comité pourrait être élu sur le modèle du CAr. Il peut comporter des administrateurs à condition que que ceux-ci acceptent un désysopage tant que durera leur mandat. Dans l'absolu il serait préférable de faire appel à de simples péons afin de refouler tout soupçon d'une collusion entre juges et parties.

Concrètement, le CCA remplirait le rôle de la page Administrateur/problème en traitant les plaintes déposées à l'encontre de tel ou tel administrateur. Il pourrait, si besoin est, demander à l'administrateur concerné de venir confirmer son statut auprès de la communauté. De la sorte, les pages de contestations personnelles, aux critères souvent inatteignables, perdent de leur portée. Elles ne sont plus, pour l'administrateur, une épée de Damoclès, et pour le plaintif, un itinéraire kafkaïen. Le chemin qui mène à la contestation est direct. Il va sans dire que les cas les plus graves, ceux qui semblent nécessiter un désysopage sans consultation communautaire ou un blocage de longue durée, nécessiteraient le transfert du dossier au CAr, qui n'aurait à tout le moins plus à se soucier de sa recevabilité. Etant donné que les fonctions du CCA sont plutôt limitées (il considère le plus souvent une plainte unique et non un conflit prolongé) et que les accusations d'abus ne sont pas si fréquentes (quelques unes tout au plus au cours de ce dernier semestre) il ne requerrait qu'une équipe restreinte de quatre à cinq membres.

Voici une modélisation - un peu ironique mais pas tant que ça en fait - de ce que pourrait donner le dépôt d'une plainte d'Argos42 contre Moez dans un tel comité de contrôle.


Deuxièmement, il importerait de constituer un corps de médiateurs, chargé de résoudre les conflits éditoriaux intermédiaires. Une liste de Médiateurs expérimentés avait été mis au point en 2009, mais elle demeure dans un état d'ébauche à tout point-de-vue désespérant. Dans un premier temps, l'on pourrait tout d'abord répertorier l'ensemble des arbitres passés et présents encore actifs (sauf cas exceptionnel, leur statut garantit des compétences médiatrices avancées). A ceci s'ajouterait un nombre plus ou moins grand de contributeur recrutés sur la base du volontariat (par exemple Noisetier, Hatonjan ou Thémistocle qui traînent assez souvent sur cette page). Le CAr serait chargé d'évaluer le travail de ces médiateurs et pourrait en exclure certains si ils ne donnent pas satisfaction. Les médiations ratées lui seraient également directement communiqué (ce qui s'est passé par exemple pour l'arbitrage Claude Piard-Bapti), ce qui garantit un filtrage en amont : les conflits secondaires n'auraient pas à subir une phase de recevabilité, inversement certains conflits graves passés inaperçus recevraient rapidement un traitement approprié. La première entrée de ce corps de médiateur pourrait avoir l'apparence suivante (vu que mon pseudo commence par Al, il y a des chances que je me retrouve en tête de liste alphabétique) :


Bon, voilà, yapluka. Même si ce petit billet n'aboutit à rien, il m'aura au moins clarifié l'esprit. C'est déjà quelque chose…

[J'ai réactualisé le message près de 24 h après sa publication, à la fois pour intégrer les deux modélisations et certaines suggestions que quelques utilisateurs ont bien voulu me communiquer par mail]

5 commentaires:

Ælfgar a dit…

« Comité de contrôle », c'est un peu agressif comme nom, non ?

Ces deux instances supplémentaires seraient sans doute une bonne chose, mais ça sent surtout l'usine à gaz qui débouche sur une PDD ultra-complexe qui avorte avant même la phase de vote. Mais je suis peut-être trop pessimiste (de toute façon, moi, je vois un conflit, je m'enfuis : Wikipédia est assez grande pour ça).

(Et on veut de billets sur l'espace encyclopédique ! Y a assez de commentateurs de la wikipolitique dans le blogodrome, comme je disais sur Twitter.)

Alexander Doria a dit…

Bof, à ce stade, les noms sont surtout des noms de code (CCA, ça passait pas mal comme sigle…).

Sinon, l'idéal serait de créer les instances AVANT de passer par PDD et de mettre au point les structures au fur et à mesure des besoins. C'est peut-être faisable pour les Médiateurs, mais pas pour le CCA, dont les membres doivent nécessairement passer par-dessus la tête des administrateurs et disposer d'un statut particulier.

Pour répondre à ta parenthèse, mon prochain billet sera uniquement éditorial, et le prochain vraisemblablement aussi. Etant moi-même arbitre, c'est un peu difficile de ne pas aborder ce type de sujet, même si je te promets de ne pas trop céder à la démagogie du compteur de stats (on ne peut pas dire le contraire : le CAr c'est vendeur).

P. Lechien a dit…

CCA me faisait penser au CCC, le Comité Contre les Chats

Scrongneugneu a dit…

Tant qu'on n'a pas de bataille entre un Comité Arbitral de Contrôle des Administrateurs et, symétriquement, un Comité Administratif de Contrôle des Arbitres, bataille doublée de celles de leurs sigles identiques...

Thémistocle a dit…

Fort honoré de voir qu'on parle de moi, je suis flatté :-) .