dimanche 10 juillet 2011

Dissertation d'histoire


Pour mon tout premier post (car je ne compte pas comme un post, ce petit billet introductif publié quelques heures plus tôt, tout juste digne de figurer dans l'anthologie du remplissage de blog), j'ai un peu envie de me livrer à un exercice apparemment assez fréquent : le décorticage en règle d'un article de Wiki. Plusieurs officines médiatiques reconnues s'y sont déjà essayé. On pourrait notamment citer le cas de Books qui, sur son wikigrill, fait périodiquement appel à de grandes plumes telles que Maurice Sartre ou René Backman. Toutefois, la perspective de ce décorticage est tout sauf wikipédienne. Elle implique une lecture uniment critique et passive, détachée de toute perspective d'amélioration de l'article (les contributeurs du Wikigrill ne commentaient pas l'article publié en ligne mais… une version imprimée). Or, ce que je vais m'efforcer ici de faire, c'est de tenir pleinement compte du dispositif de lecture actif propre à wikipédia, et plus particulièrement, de ce petit bouton « modifier » qui permet d'actualiser en quelques secondes à peine corrections et remarques.

Fort de toutes ces bonnes intentions, je vais m'appesantir sur une sorte d'ovni, un article assez peu réussi dans l'absolu, mais qui constitue pour cette raison même, un bon candidat à un premier décorticage : la Politique étrangère du Vatican. Avant mon arrivée, l'article prenait la forme suivante.



On y remarque tout de suite un souci de taille : le titre et l'intitulé de l'article ne concordent pas. On est censé lire un examen de la Politique étrangère du Vatican. Or, l'incipit nous indique : « la diplomatie du Saint-Siège est l'activité de négociation internationale de l'Église catholique romaine ». De quoi s'agit-il au juste ? De la politique étrangère du Vatican ou du Saint-Siège ? Contrairement à ce qu'on peut penser, les deux termes ne sont pas synonymes. Le Vatican désigne un État souverain tandis que le Saint-Siège qualifie une organisation supra-étatique. On ne parle clairement pas de la même chose. Mais de quoi faudrait-il parler ?

Dans Connaissance du Vatican, Paul Poupard précise :

L'originalité de la diplomatie pontificale éclate aussitôt. Alors que la juridiction de chaque État est limitée par ses frontières et que son crédit international se mesure à sa puissance, le Saint-Siège n'a pratiquement pas de territoire et ne dispose ni d'infrastructure économique ni de forces armées dignes de ce nom. L'État de la Cité du Vatican, avec ses 44 hectares, n'a été créé, nous l'avons déjà souligné, que pour assurer d'une manière évidente aux yeux de tous l'indépendance du Saint-Siège par rapport à quelque pouvoir temporel que ce soit. (p. 88)

Bref, la notion de Politique étrangère du Vatican se révèle complètement absconse. La particularité de cet État réside justement dans l'absence de toute politique étrangère. Cet important attribut régalien a été entièrement délégué à l'église catholique. Le titre de l'article ne tient ainsi pas debout. Il conviendrait de le renommer, mais après consultation de l'historique, je m'aperçois qu'il y a déjà eu plusieurs changement de titres (Relations internationales du Saint-Siège, Politique étrangère du Saint-Siège, Diplomatie du Saint-Siège). Plutôt que de prendre une décision unilatérale, je dépose une remarque en ce sens sur le portail du Vatican.

La suite de l'article réserve d'autres surprises. En particulier les titres des paragraphes et des sous-paragraphes paraissent démesurés et rédigés en un verbiage bien peu encyclopédique : Des moyens d'influence internationale puissants et efficaces, Une diplomatie très organisée et bien intégrée aux relations internationales et, le meilleur pour la fin, Une puissance morale et spirituelle mise au service des catholiques et des valeurs de l'Église à travers le monde. La consultation de l'historique permet d'identifier l'auteur de l'article : il s'agit de l'utilisateur Heureux qui comme Ulysse. Spécialisé dans la rédaction d'articles historiques, ce contributeur crée l'article en 2005 et le dote alors de la quasi-totalité de son contenu actuel. Or, en 2005, les pratiques d'écritures sur Wikipédia étaient très différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui : très peu de conventions formelles existaient en dehors des cinq principes fondateurs (en particulier, les notes de bas de page n'avaient pas encore été introduites). Les utilisateurs disposaient d'une marge stylistique beaucoup plus large, potentiellement extra-encyclopédique. On peut ainsi supputer que Heureux qui comme Ulysse s'est attaché à écrire son article comme une dissertation d'histoire. Les longues phrases introductives qui le parsèment se retrouvent fréquemment sous la plume de professeurs d'histoires et de sciences politiques, en particulier dès lors qu'ils sont soucieux de respecter un beau style académique, doté du fameux sujet-verbe conjugué-complément.

Toutes ces longueurs n'ont rien à faire sur une encyclopédie, a fortiori en ligne, qui doit s'efforcer de viser à la synthèse, et permettre au lecteur d'apprécier en un minimum de temps, le contenu d'un paragraphe. Dans cette optique, je me permets de corriger les titres.

Un point de détail confirme notre appréhension initiale. De longs développements sont consacrés à une anecdote un peu incertaine : en 1935, Staline aurait ironisé sur la faiblesse des structures diplomatiques de l'église : « Le pape, combien de divisions ? ». S'ensuivent quelques déductions assez biaisées : « Cette citation montre toute la difficulté à saisir la nature de la puissance diplomatique du Saint-Siège. Si l’Union soviétique s’est écroulée sans utiliser ses capacités militaires, le Vatican lui est toujours là… ». Le rapport entre la phrase de Staline et l'écroulement de l'URSS paraît déjà pour le moins léger. La suite vaut son pesant de cacahuètes : « Là réside la puissance de l’Église catholique dans les relations internationales : le Saint-Siège dispose d’une puissance morale et spirituelle, et non géopolitique ». Qu'entend-on au juste par « puissance morale et spirituelle » ? Le magistère éthique dont jouirait l'église en vertu de son ancienneté et de la « légitimité » des préceptes chrétiens ? C'est vague, très vague… Et on laisse ici de côté une donnée beaucoup plus prosaïque : le pouvoir d'influence et de pression dont dispose une organisation revendiquant un peu plus d'un milliard de croyants. En attendant de trouver des références pour étayer toutes ces approximations, je me permets de les sabrer sans état d'âmes.

Conclusion de ce premier décorticage : nous sommes face à un article assez complet, couvrant assez généralement l'ensemble de son sujet (structures, modalités, visées, buts : rien n'est ignoré). Toutefois, il est pénalisé par plusieurs soucis de forme (incohérences, titres à rallonge, développements abstrus). Ils s'expliquent essentiellement par le fait que son auteur ne songeait pas tant à un écrire un article encyclopédique qu'à mettre en ligne une synthèse historique. Nous sommes ainsi amené à prendre en compte un phénomène souvent éludé : la stratification de Wikipédia. A l'instar d'un terrain archéologique, un article de Wikipédia possède plusieurs strates ou zones de contribution datées d'une période donnée, et marquées en tant que telles par des options éditoriales nettement différenciées. Une contribution de 2005 n'était pas soumise aux mêmes règles formelles qu'une contribution de 2011 ou de 2003. L'organisation de l'encyclopédie, l'étendu de son rôle social, ses outils architextuels : toutes ces données apparemment secondaires jouent un rôle décisif dans la formulation du texte inscrit. Affirmer que « Wikipédia dit ceci » n'a pas grand sens tant que l'on ne précise pas le contexte éditorial propre à ce dire.

Sur tout cela, j'aurais le plaisir d'y revenir. Mais bon, c'est déjà bien assez pour un premier post…

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