J'avais
promis à Meneldur (alias
Ælfgar, alias Weneldur) de me distancer un peu de la Wikipolitique et de tout ce qui en découle (
wikipetitesphrases,
wikisperpentsdemers,
wikistratagèmesdehautevoléepastoujoursconcluants…). La promesse est engageante : jetant un coup d'œil parfois distrait sur mes statistiques, je ne peux que constater que mon dernier
billet sur le comité d'arbitrage a marché deux à trois fois mieux que mes billets « encyclopédiques » (le
plus encyclopédique a d'ailleurs le moins bien marché). En même temps, les blogs ne manquent pas pour aborder, avec talent, ce type de thématique
vendeuses. Si je tiens à me faire une petite place au soleil, il est nécessaire que j'accorde une place à ce qui est rarement traité : la majorité silencieuse des articles encyclopédiques.
Ce billet ne parlera donc pas de wikipolitique mais de… politique tout court. Ou, plus exactement, du
portail politique et de son
projet affilié. Il a été créé en novembre 2005 par Thierry Caro. A vrai dire, c'est plutôt tardif pour un portail de cette importance — par comparaison le
portail musique, l'un des premiers de wikipédia si je ne m'abuse, a été
conçu un an plus tôt (d'ailleurs la version d'origine est magnifique, quoiqu'elle a dû montrer rapidement ses limites). Ce retard n'augurait rien de bon, comme nous allons le voir.
Dans la mesure où les modèles correspondants aux cadres ont été supprimés, l'on ne peut connaître la
gueule du premier portail politique. Souhaitant combler rapidement un manque, Thierry a recouru à une structure assez standard, que l'on retrouve un peu sur l'un de mes vieux portails, complètement à l'abandon, le portail des
Lumières : des cadres colorés précédés d'un bandeau de couleur vive enchâssant un titre en gras.
Dès décembre, Pseudomoi tente d'individualiser davantage le portail (malheureusement, sa
créature est aujourd'hui moins lisible encore que celle de Thierry). Le portail reste près de trois ans en l'état. Puis, En 2008, une refonte intervient : Flot2 crée un
nouveau portail, marqué notamment par le regroupement des anciens cadres en un gros index thématique.
S'ensuit un nouveau cycle de trois ans, qui vient de s'achever il y a quelques jours à peine. Je ne suis pas étranger à ce renouvellement, loin de là.
La restructuration du portail politique figurait sur ma to-do-list depuis 2009. J'ai déjà fait état dans un
précédent billet de mes tentatives, assez infructueuses, de mettre au point un article politique potable. Dans la lignée de ces travaux de restructuration, je m'étais
inscrit au wikiconcours du printemps 2010 et avait formalisé à cette fin une
liste élargie des articles à restaurer. Je ne mentionnais pas le portail, mais il devait nécessairement être touché par cette campagne de rénovation. Ce qui est advenu de ces bonnes résolutions a déjà dû concerner n'importe quel wikipédien tant soit peu actif : travail prenant — contributions sporadiques — travail très prenant — plus de contribution.
J'ignorais que la version du portail politique que j'avais sous les yeux était relativement récente. A vrai dire, je ne l'ai jamais aimée. Ni le rangement (l'index thématique, qui compose nécessairement le gros d'un portail, subit une sorte d'effet-iceberg : le lecteur doit scroller pour en percevoir la substantifique moelle), ni l'identité visuelle (l'ocre a probablement été adopté car il s'agit d'une couleur neutre en politique, mais il fait franchement usé). Je tenais à changer tout ceci à la première occasion. Celle-ci s'est présentée le week-end dernier.
Le samedi 23 juillet, je piquais ma crise face à la lourdeur de la page de discussion du projet. Faute d'avoir été archivée une seule fois depuis sa création, elle pesait quelques 300 000 octets. Montre en main, la moindre contribution sur cette page requérait une attente de plusieurs, voire une dizaine de secondes. Je
virais le tout sur une archive annexe. Ce geste inaugural me donna des ailes. Quelques heures plus,
j'annonçais mon intention de restructurer le machin.
En 2007, Serein m'avait initié aux règles et procédures non écrites de la création de portail. Il importe dans un premier temps d'importer un modèle quelconque sur une page personnelle, soit hors de l'espace encyclopédique. Puis, de le retravailler et d'opérer une sélection raisonnée des articles liés. Enfin, de déposer le travail ainsi réalisé sur le page du portail. Ce procès en trois temps explique pourquoi les historiques des portails sont généralement peu fournis (un peu moins d'une
centaine de révisions sur le portail politique depuis 2005, alors qu'il s'agit d'un des plus instables de wiki). Je n'ai pas procédé autrement.
Peu après le dépôt de mon intention de restructurer, je crée une
page personnelle et y
importe telle quelle, le code html d'un portail récent et de bonne facture consacré à l'Empire allemand. Je me suis aperçu a posteriori que cette structure dérive en fait de la page d'accueil — cela explique sans doute le sentiment de familiarité que j'ai ressenti en la consultant la première fois. Mon cadre de base étant fixé, j'
intégre les modèles du portail politique et, lorsque cela s'avère nécessaire, j'en crée de nouveau. Mon principal apport consiste à éclater l'index thématique en six modules distincts, plus aiséments cernables et consultables. J'en profite pour changer et simplifier les intitulés, ainsi que pour reconfigurer certaines subdivisions un peu problématiques (la
Philosophie politique, qui se résumait à du name dropping devient
Théorie et fédère quelques cinq disciplines distinctes).
À 20h00 et quelques, j'ai bouclé le lourd labeur. Il me reste un point subsidiaire à régler : quelle esthétique ? quelle identité visuelle ? Sans vouloir faire mon marketeux de base (car telle est ma formation) il me semble que l'apparence d'un portail influe beaucoup sur son audience (qui est très basse : de l'ordre de 200 à 300 visites quotidiennes) et aussi, plus indirectement, sur sa participation — personnellement, je suis beaucoup plus tenté de fréquenter le très accueillant portail musique classique… La facilité aurait consisté à
garder le bleu de la page d'accueil. En effet, le modèle Accueil/Cadre n'autorise pas les changements de couleurs. Toutefois, ça me gênait qu'un portail aussi significatif soit réduit à l'état de simple décalque.
Forçant un un peu ma nature, plutôt rétive aux échafaudages informatiques, je mets au point un modèle politique. Je transporte à cette fin le code source (protégé) du modèle
Accueil/Cadre dans une nouvelle page,
Politique/Cadre2 et je remplace le fond dégradé bleu du titre par un fond dégradé rouge. Pourquoi rouge ? C'était le choix originel de Thierry Caro et je trouve qu'il se justifie plutôt : le rouge est, avec le bleu, la couleur la plus « politisée ». Wikipédia faisant déjà grand usage du bleu, il me paraissait naturel d'opter pour son contraire, moins fréquent.
Le lendemain-même,
j'intègre le nouveau portail ainsi constitué. J'en profite pour régler le sort du projet, également en déshérence. Sans trop me prendre la tête, je crée une nouvelle
page personnelle et généralise l'adoption de mon cadre rouge. À la fin du week-end, tout est bouclé.
L'on s'étonnera peut-être que cette campagne de rénovation, assez lourde et sensible, se soit effectuée en solitaire et sans concertation. Même si je l'avais souhaité, il n'était pas possible d'agir autrement. Le portail politique est un portail vide, dépeuplé. Son angle d'approche est beaucoup trop large pour intéresser une communauté encyclopédique. Les utilisateurs tendent plutôt à se réunir sur les portails subsidiaires, plus précis et plus proches de leurs préoccupations immédiates. En outre, plus globalement, les sujets touchant de près ou de loin à la politique souffre d'une désaffection assez profonde. D'expérience, j'ai pu me rendre compte qu'ils sont difficiles à sourcer. Les sciences politiques pâtissent de la concurrence de disciplines mieux organisées (histoire, sociologie, anthropologie…). Elles produisent finalement assez peu de travaux de qualité : les politologues succombent souvent à la tentation du coup médiatique et à force de fréquenter le milieu politique qu'ils sont censés étudier, finissent par se compromettre avec lui (histoire d'illustrer ma pensée, je citerai un archétype : Olivier Duhamel). Résultat des courses : le référencement des articles tourne à la haute voltige, les travaux les plus pertinents n'étant pas forcément les plus visibles ni les plus connus.
Pourtant, parce que le portail touche à une faculté humaine fondamentale, il existe un décalage considérable entre son activité attendue et son activité effective. Le 20 juillet, Dodoïste
fait état d'un projet d'harmonisation d'infoboxes, potentiellement polémique. Il s'attend apparemment à provoquer un débat. Son discours s'habille de nombreuses marques de déférences formelles : « Je propose de toutes les standardiser » / « Est-ce que cela vous convient ». En réalité il parle (presque) dans le vide. Je suis le seul à répondre — positivement. Il s'en montre satisfait et s'attend visiblement à recevoir d'autres échos :
Vu justement qu'il y a des modèles assez différents de la plupart, je crains de heurter les préférences de chacun en harmonisant le tout. Content d'avoir déjà une réponse positive […] Est-ce que le projet politique est prêt à aller dans ce sens ?
Il s'aperçoit rapidement que je suis son seul interlocuteur. Il entreprend sa campagne d'harmonisation sans demander son reste. Dans ce type de situation socio-linguistique, on mesure le pouvoir que peut soudainement acquérir une seule personne. Par défaut, je « suis » devenu pendant un temps assez bref le projet politique : il n'y avait personne d'autre à consulter, personne d'autre d'intéressé… Mon pouvoir de représentativité était considérable : si j'avais eu l'esprit un peu mal tourné, j'aurais pu aisément démonter la proposition de Dodoïste. Déconcerté par ce froid accueil, il ne l'aurait peut-être jamais mise en chantier. On mesure ici le danger de laisser les portails à l'abandon, surtout lorsqu'ils sont investis d'une charge encyclopédique aussi considérable que le portail politique. N'importe qui, pourvu d'une certaine assurance, peut s'en ériger le seigneur et maître et ralentir potentiellement les initiatives qui en dépendent.
Eh bien, maintenant que j'ai rénové la maison est-ce qu'il y aurait des volontaires pour venir l'habiter ? Le climat est plutôt ingrat, mais les opportunités ne manquent pas — tout reste à construire.