samedi 30 juillet 2011

Voyage dans le temps…

Bon, a priori, les scientifiques ne sont pas encore parvenus à réaliser ce fantasme que littérateurs et vulgarisateurs nous font miroiter depuis un peu plus d'un siècle. Ce n'est pas demain la veille que je pourrais me saisir d'un véhicule spatio-temporel pour passer mes vacances dans une île paisible du Gondwana dans les alpes couvertes de neige de l'année sans été ou dans la confortable grande villa martienne de mon lointain descendant… En attendant la détection d'un hypothétique carburant temporel dans le LHC de nos amis suisses (qui, cabale romande oblige, composent une part importante de mon public), Wikipédia nous en donne un succédané assez savoureux.

J'en ai déjà fait état dans un précédent post : l'encyclopédie collaborative fonctionne par accrétion de strates successives. Sa réactualisation implique en effet une intervention humaine qui peut parfois se faire attendre. C'est ainsi que certains articles assez sensibles aux mouvements du monde se trouvent parsemés de constats ou d'hypothèses facilement dépassés par les faits. Récemment, j'ai donné suite à la juste remarque d'un nouvel utilisateur sur l'article Europe : la carte de la répartition des religions en Europe n'était pas datée, ce qui, pour une réalité aussi volubile aujourd'hui que les identités spirituelles, posait indéniablement problème. Après vérification, j'ai rajouté la mention en 2008.

Il importe également de noter que la « réactualisation » ne concerne pas seulement le sujet de l'article mais sa mise en scène éditoriale. Selon les époques et les moyens dont ils disposaient, les wikipédien ont suivis des règles plus ou moins définies, adoptés des habitudes plus ou moins ancrées, entrepris des projets plus ou moins ambitieux. Toutes ces variables se lisent dans le produit final. Il est ainsi possible à un lecteur assez exercé de dater approximativement le texte qu'il a sous les yeux. Références, conventions stylistiques, modèles, wikification : tous ces habillages textuels ne sont pas arrivés d'un bloc. On les a installé, d'abord techniquement puis socialement, par étapes successives. Leurs présences / absences constituent un indice relatif comparable au carbone 14 dans le monde réel.

Tout ceci pour dire que, pendant une bonne partie de la journée, je me suis transporté en 2006. Mon entreprise de réfection réussie du portail politique m'a amené à recenser un peu plus précisément l'ensemble des articles liés — histoire de vérifier si leur présence était aussi pertinente aujourd'hui que mes prédécesseurs l'avaient cru en leur temps et, par la même occasion, de les rattacher à ma liste de suivi afin de garder un œil sur les contributions parfois louches qui s'y accumulent. Je n'ai pas été déçu.

Rien n'a bougé, ou presque, depuis 4-5 ans. La moitié des articles n'étaient pas évalués. Les historiques sont tout déplumés. Les pages de discussion sont restés inertes depuis la fin 2006.


Prenons quelques exemples.

Etat-nation est créé en 2003. Il atteint les deux-tiers de sa taille actuelle en février 2007. Un bandeau source a été déposé en novembre 2008. Exception faite de deux réponses tardives, la PDD a cessé d'accueillir des contributions en janvier 2007. Conséquence de cette inactivité, l'article se cantonne à égrener un discours académique (dans le mauvais sens du terme) : l'inévitable débat Renan-Barrès/France-Allemagne/Kultur-Civilisation, une longue litanie d'États non-nationaux et une liste des critiques apportées à la notion d'État-nation. Le plus important est occulté : le pourquoi de l'État-nation. Qu'est-ce qui fait, sociologiquement et idéologiquement, que l'État-nation s'impose progressivement comme une réalité nécessaire à partir de la fin du XVIIIe siècle ? On ne manque pas de références à ce sujet (Eric Hobsbawm, Benedict Anderson… — surtout des anglophones en fait, mais il me semble que le sujet reste un peu tabou en France). Si j'avais écouté mon instinct premier, j'aurais tout effacé pour tout recommencer. Mais, comme je n'avais pas le temps de m'y mettre aujourd'hui, j'ai tout laissé en l'état. Qu'à cela tienne…

Cité est devenu un véritable réceptacle à TI. J'ai viré fissa un paragraphe au titre évocateur : À la période où l'Occident découvre que la Terre est ronde Il reste d'autres perles comme celle-ci :

La cité -et par extension l'État - espace peuplé, voire surpeuplé d'hommes, est le lieu privilégié, la pâte à penser [c'est moi qui grasseye] des philosophes en termes de réflexion politique.

Aurions-nous à faire à un boulanger-philosophe ? Pour le reste, l'article n'est pas si mauvais : il établit assez adéquatement le glissement sémantique qui court de la Cité-État à la Cité-Banlieue.

Assemblée, Législature et Politique étrangère ne sont rien — tout juste des boîtes à lettre, ce que serait resté l'article pomme si il n'avait pas bénéficié de l'effet-piranha. État de droit pourrait s'appeler État de droit selon Hans Kelsen, tant il s'agit d'une simple recension des considérations du juriste autro-américain. J'arrête là l'évocation — le décor, assez pauvre, est planté.

Ce qui est assez extraordinaire, c'est que les articles dont je parle ici n'ont rien de secondaire. Nombre d'entre eux ont été sélectionnés par la Sélection transversale, une initiative un peu oubliée aujourd'hui, qui consistait à sélectionner un nombre réduit d'articles de la première importance, afin de mettre au point une sorte de Wikipédia fondamentale à destination d'un public d'écolier et d'étudiant. Et pourtant ils restent en déshérence… Je vais essayer de mettre prochainement en place une offensive de reconquête de ces brebis égarées. Si il y a d'autres bonnes volontés que la mienne, qu'elles n'hésitent surtout pas…

3 commentaires:

Ælfgar a dit…

La strate jaune sur ton schéma, c'est pas plutôt les bots ? :P

Alexander Doria a dit…

Julien_f m'a fait à peu près la même remarque sur Twitter : j'ai complètement laissé de côté les bots, alors que, en l'absence des humains, ils sont souvent les principaux contributeurs des articles. Je vais modifier mon billet (et l'illustration) en conséquence.

Bonne chance pour ton entreprise de reconquête des articles dynastiques du Saint-Empire. Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que tu fais face à des problèmes assez similaires (abandon, TI etc.).

Anonyme a dit…

Commentaire test…