dimanche 14 août 2011

Le web-roman-feuilleton, présent et futur…

Il y a une dizaine de jours, je publiais le premier épisode de mon wiki-roman-feuilleton. Je lançais cette entreprise éditoriale en somnambule : sans avoir vraiment conscience de ce que je faisais, je le faisais. Je me fixais toute une série d’objectifs arbitraires (écrire 60 billets autour de Wikipédia, à raison de près d’un billet par jour). Mes motivations m’étaient assez occultes. Je les perçois mieux aujourd’hui.

Je souhaitais dynamiser mon activité littéraire. Je suis, dirait-on, un écrivain de chambre. J’ai accumulé les projets romanesques depuis une huitaine d’années, certains assez avancés, d’autres réduits à quelques lignes abstraites. Aucun n’a jamais abouti. Je n’ai eu le temps de les alimenter que pendant les périodes extrascolaires. Or, de 14 à 22 ans, l’on ne cesse changer d’optique, brûlant une année ce que l’on avait adoré au cours de la précédente, découvrant sans cesse de nouveaux champs d’expériences, de nouveaux styles. Une fuite en avant, certainement stimulante mais peu productive. Je me retrouve aujourd’hui avec un large stock de textes dont, pour la plupart, je n’ai jamais été que le seul lecteur.

La publication régulière permet de limiter cette dérivée. Je ne suis plus seul. Je dois tenir compte des attentes d’un lectorat en formation. Cette spéculation génère des obligations : je ne peux prendre le risque de trop détourner le roman de ses intentions initiales. En outre, un rythme de publication quotidien amoindrit la tentation de la procrastination. Je ne peux remettre l’écriture de mon millier de mots journalier. Je dois m’y mettre maintenant, sans attendre un hypothétique temps de grâce. Je fais l’excellent apprentissage d’une écriture banale, fonctionnariale.

Je ne le découvre qu’aujourd’hui, mais le web-roman n’est pas né d’hier. Il est apparu dès qu’il est devenu possible — soit, dès que des infrastructures adaptées permirent à n’importe quel quidam de publier n’importe quel texte à l’attention de n’importe qui. A la fin des années 1980, une Electronic Literature commence à se manifester. Soit une littérature destinée à être lue exclusivement sur un ordinateur. En 1987, Michael Joyce dote cette littérature très théorique de ses lettres de noblesse avec Afternoon, a Story chef-d'œuvre incontesté, quoique plutôt solitaire. De l’Electronic Literature à la Web Literature la conversion est relativement aisée. On voit ainsi émerger les premières Web Fiction à la toute-fin des années 1990

Peut-être sous influence anglo-saxonne, le genre a connu une certaine fortune au Québec. On y trouve notamment une production très bien faite qui possède déjà son petit parfum de classique, Mille Vies de Denis Vézina. Financé par les bibliothèque publiques de Montréal, ce web-roman-feuilleton a rencontré un certain succès — preuve s’il en est que le dispositif fonctionne. En dépit de ce précédent francophone significatif, la France peine à s’y mettre. On sent néanmoins comme un frémissement depuis la fin de l’année dernière.

Dans l’ensemble, les webromans restent très stéréotypés. Ils ne prennent pas acte de la spécificité du cadre éditorial. Ils se contentent d’importer tels quels des styles, des genres et des dispositions textuelles purement littéraires — un peu à la manière du cinéma académique des années 1900 qui, sur le modèle de L'Assassinat du duc de Guise, se cantonnait au théâtre filmé.

On trouve un archétype de cette importation sur une  websérie morte-née. Le premier épisode propose une description assez épaisse d’une planète entièrement gelée. La simple vision de l’image du texte tend à décourager le lecteur. Ces larges blocs de mots, ce mouvement narratif assez lent voire contemplatif — toutes sortes de choses qui paraissent acceptables sur une feuille de papier, mais désagréables sur un écran lumineux :



Par-delà son image, le texte possède une originalité toute relative. Il se résume à une série d’emprunts aux recettes courantes de l’heroic fantasy et du roman d’aventures. Ce n’est pas l’exemple le plus banal. ARCA va jusqu’à diffuser les épisodes hors-internet (apparemment par voie de mail). Le pitch narratif est une resucée vaguement fatiguée du roman-d’aventure-historique-cabbalistique-complot-mondial. Une autre initiative, mise au point par un deux normaliens, ne semble guère plus emballante. Il s’agit d’un roman policier placé à l’époque d’Henri IV. Je n’ai pas pu juger sur pièce : l’url du site renvoie vers tout autre chose, ce qui laisse à entendre que l’entreprise n’a pas dû aller bien loin.

Paradoxalement, les webromans les plus audacieux sont également ceux qui assument explicitement une identité littéraire. Tout dans Mille Vies rappelle le livre : on tourne des pages, les chapitres correspondent à des marques-pages, le fond du site présente l’équivalent visuel d’un bureau. Néanmoins, l’auteur ne se prive d’utiliser les ressources propres aux numériques : liens hypertextes, possibilité d’envoyer ses suggestions à l’auteur etc. Deux autres publications — beaucoup moins connues même si elles gagneraient à l’être — font également preuve de cette prudence expérimentale.

Le Mensékhar d’Eloïs Lom est un roman de science fiction, écrit en 1996 et jamais édité faute d’avoir trouvé preneur. Il repose pourtant sur un postulat assez intrigant : utiliser les procédés narratifs de la mythologie grecque dans le cadre d’un Space opera. La littérature SF a certes déjà fait un usage abondant des noms et récits de cette mythologie (il suffit de consulter la liste des œuvres de Dan Simmons pour s’en persuader). A ma connaissance, cet emprunt ne va jamais jusqu’à la restitution telle quelle de ses schémas structurels. C’est pourtant ce que fait le Mensékhar en modelant son développement sur celui d’une tragédie athénienne : tous les personnages vivent dans l’attente d’une apocalypse prévue dès les premiers épisodes. Afin d’étayer ce postulat intertextuel, Eloïs Lom tire partie des interactions possibles entre une multitude de textes : commentaires, notes de lecture, épisodes romanesques, articles encyclopédiques… Ce qu’il met en scène ce n’est pas un roman, mais plutôt l’atelier d’un roman : tous les conseils, les indications, les inspirations qui nourrissent l’activité de réécriture d’une œuvre vielle de quinze ans.

La Chambre floue d’Eric Méfret joue a contrario la carte de la diversification sensorielle. Le site publie en feuilleton un romans épuisé et jamais réédité de l’auteur, Neuronnex, sorte d’uchronie futuriste racontée à la manière d’un néo-polar. Il ne les publie pas en bloc, mais ménage toute une série d’enrichissement sémantiques. L’auteur n’a pas songé à la seule lecture du texte mais également à son appréhension en tant qu’image. Un soin particulier est apporté à la typographie (police, italique…) ainsi qu’à l’inscription des mots dans un espace visuel (fond noir, titres floutés). Enfin, un accompagnement musical rock’n’roll accompagne la lecture et produit d’amusants effets de décalages et de distanciations.

Dans les deux cas, on le voit, le webroman n’a pas été écrit mais transcrit pour le web. Et ce n’est pas forcément plus mal. Sensibles aux divergences profondes entre la feuille et l’écran, les auteurs se sont décarcassés pour identifier des plus-values artistiques. Eloïs Lom concilie le texte avec le contexte : l’un n’est pas explicitement distingué de l’autre, mais tous deux participent d’une même entreprise éditoriale. Eric Méfret joue sur la double qualité du mot comme image et comme sens. Ces deux options résument-elles toute la spécificité du webroman ? Pas tout-à-fait.

Ce sont effectivement les premières qui se présentent à l’esprit. Lorsque j’ai mis en place mon wiki-roman-feuilleton, mon premier souci fut de mettre en place un lectorat stable afin de développer les échanges auteurs-lecteurs par le biais de nombreux co-textes (commentaires, tweets…). Je voulais construire mon feuilleton comme un wiki. En témoigne ces tweets :


Je me suis rapidement rendu compte que cet objectif n’était pas vraiment réalisable. En tant qu’auteur, j’avais déjà une idée bien précise de l’intrigue (et de ses rebonds) en tête. Ne connaissant pas les points-de-fuite vers lesquels tendent la narration, les lecteurs peuvent difficilement suggérer certains retournement de l’intrigue. Leur liberté, que je pensais totale, se trouve de facto limitée.

Par la suite, je me suis efforcé de concevoir des illustrations autonomes, propres à stimuler la lecture et à lui donner une dimension supplémentaire. Deux de mes feuilletons comportent une image fictive (ici et ). Un autre va jusqu’à intégrer une vidéo. Cependant, ces illustrations représentent une charge de travail supplémentaire. Je ne peux les réaliser que lorsque j’ai le temps et l’inspiration nécessaire.

Chacune des options est insuffisante en elle-même. Il n’est même pas sûr que leur combinaison suffise. D’autres trucs et ficelles restent à découvrir ou à populariser. J’ai récemment commencé à m’aventurer sur une piste prometteuse : la fictionnalisation de l’actualité. Le blog voire plus largement le web, présentent cette particularité de dater systématiquement chaque ajout d’information. Chacun de mes billets sont introduits par une mention calendaire, soit, dans le cas présent : « le 14 août 2011 ». En jouant sur cette datation systématique, on peut produire des effets littéraires assez stimulants. Ainsi, mon feuilleton du 6 août propose un compte-rendu fictif de la dégradation de la note de la dette américaine par Standard and Poor’s le jour-même où cette dégradation intervient.

Parallèlement je réfléchis beaucoup sur la longueur idéale du feuilleton web. L’œil humain a apparemment du mal à fixer un seul long texte sur l’écran. Peut-être est-il gêné par la luminosité et doit-il en compenser la monotonie en variant fréquemment l’affichage (l’internaute est, par définition, un zappeur-né). Le webromancier se doit de tenir compte de cette donnée peut-être anthropologique. Mes sept premiers feuilletons maintenaient un rythme de croisière d’un peu plus de 1000 mots. Le huitième descend soudainement en-deçà de la barre des 500.

Le champ d’expérimentation n’est pas clôt et s’étend toujours.

Bref, il n’y a pas une recette miracle qui ferait instantanément d’un texte un webroman en bonne et due forme. Cela n’a rien d’exceptionnel. Le cinéma ne se résume pas aux mouvements de caméra, aux voix off, aux décors réels et à la musique d’accompagnement. Il compose une articulation de tout ça. C’est à cette orchestration des procédés que doit parvenir le webroman. Le chemin est encore long. Mais, après tout, en 1911, le cinéma n’avait donné qu’une assez faible idée de ses potentialités.

4 commentaires:

P. Lechien a dit…

Je crois que produire mille mots par jour pour avoir produit tes milles mots par jour, c'est un peu tomber dans le travers que tu décris: on a un pavé qui remplit la fonction du volume (quoi qu'il y ait des nouvelles très bonnes et très courtes), mais du coup tu n'as pas le temps de développer ce qui fait le plus du webroman (e.g. les vidéos, mais simplement insérer plus d'hypertexte aussi, tant qu'à faire).

Pour ce qui est de la taille idéale, je commence à me demander si un écran ce n'est pas juste ce qu'il faut - là pour le coup tu passeras à 120 voire 180 épisodes ^^

Alexander Doria a dit…

Oui, je rejoins ton diagnostic : à partir du moment où il faut scroller, on abandonne la lecture (à moins d'être vraiment pris par l'histoire). Pourtant, la grande majorité des feuilletons que j'ai pu consulter sur le web sont beaucoup plus longs que les miens. Il doit y avoir un effet de résilience du feuilleton journalistique (un peu comme lorsque les premiers bulletins d'information télévisés se contentaient de…lire le journal). Et puis, il est difficile de raccrocher les wagons d'un feuilleton à l'autre dès lors que l'on privilégie la brièveté — en même temps, ce pourrait être la fonction de l'hypertexte.

Je vais faire un test pour le prochain. Tu me diras.

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup ton webroman mais effectivement ce serait bien de renforcer les liens, illustrations, etc.

Vivement 2041 (voir 2042) pour pouvoir être payé pour travailler sur WP !

Eloïs LOM a dit…

Bravo, ton site est vraiment efficace, bien écrit, très documenté, tu réalise un vrai travail journalistique. Je souhaite que ton activité littéraire rencontre beaucoup de succès, c'est mérité. Je te remercie d'avoir cité mon blog le Mensékhar dans un de tes articles. J'ai bien aimé l'étude que tu en as fait. Bonne continuation et sans doute à bientôt.